Pourquoi cette obsession de la fraude dans les soins de santé si elle ne représente que 0,01 % ?

Lors du récent symposium de l’Association belge des présidents de conseils médicaux (ABPCM) j30 octobre 2025, Philip Tavernier, chef du Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l'Inami, a répété que la fraude dans les soins de santé ne représente que 0,01 % du budget total. Alors même que cette proportion est marginale, la lutte contre les abus reste une priorité politique.

Interrogé par Le Spécialiste et Medi-Sphère, Philip Tavernier reconnaît qu’il s’agit d’une très petite minorité de prestataires, tout en soulignant l’effet de réputation de cas isolés : « Quelques dérapages suffisent à discréditer une profession entière. » Une enquête menée juste avant le débat du congrès de l’ABPCM a montré que 98 % des médecins présents estiment que les pouvoirs publics doivent agir contre la fraude.

La nécessité des contrôles ne fait donc pas débat. Mais la proportion des efforts interroge : dans d’autres secteurs, les irrégularités apparaissent beaucoup plus marquées. L’Office national de l’Emploi (ONEM) a ainsi constaté, au premier trimestre 2023, une infraction dans 30 % des cas lors de contrôles de cumul entre allocations de chômage, indemnités de maladie ou pension. En incapacité de travail, selon un échantillon de l’INAMI réalisé fin 2024, un quart des personnes en incapacité permanente ne devraient pas être à domicile.

Dans les soins de santé, où la fraude est marginale, une autre dynamique émerge : surveillance structurelle et profilisation comportementale des prestataires. La SECM dispose déjà de prérogatives étendues, telles que l’accès aux données bancaires via la Banque nationale, l’extrapolation d’erreurs issues d’échantillons à l’ensemble des prestations, ou encore l’imposition de sanctions administratives sans passage systématique devant une instance judiciaire.

Le programme gouvernemental 2025-2029 prévoit en outre un renforcement de cette politique, avec la mise en place d’un « système de contrôle qualitatif et objectif » pour détecter les comportements déviants et une collaboration accrue avec les parquets. La logique évolue d’un contrôle a posteriori vers un monitoring continu.

Selon Jacques de Toeuf, président honoraire de l’ABSyM, ce glissement pourrait entraîner une culture de surveillance généralisée : les prestataires seraient évalués sur des écarts statistiques, indépendamment du contexte clinique ou des motivations médicales, avec une extrapolation pouvant entraîner des sanctions sans dialogue préalable.

Le professeur Stan Politis (GBS) alerte lui aussi sur l’impact collatéral potentiel du cadre porté par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke. « Une politique de répression ciblée sur une très petite minorité risque d’entraîner toute la profession dans un climat de suspicion. Les médecins vont se protéger juridiquement en multipliant les examens techniques, non pas parce que cela est nécessaire pour le patient, mais pour se couvrir eux-mêmes. Cela augmente les coûts et mine la confiance dans le jugement clinique et le bon sens. »

Le paradoxe, selon le rapport annuel du SECM, est que le système actuel fonctionne : les cas sont détectés, les montants récupérés, et l’ampleur du phénomène reste exceptionnelle. Pourtant, les moyens et les pouvoirs consacrés au contrôle continuent d’être renforcés.

La fraude doit être combattue, sans devenir le moteur principal du discours public dans un secteur où l’immense majorité des prestataires travaille correctement. Un contrôle efficace exige de distinguer entre incident et schéma, entre erreur et intention. C’est un équilibre nécessaire pour préserver la confiance entre autorités, médecins et patients.

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Derniers commentaires

  • Francois Planchon

    01 novembre 2025

    La profession, et notre ministre fédéral, feraient mieux de faire la chasse aux actes inutiles ou redondants ... et pourquoi pas aux absurdités coûteuses...
    Par exemple : rendre compatible pour TOUTE la Belgique la transmission / consultation électronique des dossiers patients...
    Je connais une patiente suivie en Walonnie qui s'est fait opérer à Hasselt, et qui a dû imprimer elle-même son dossier wallon pour le transmettre à son chirurgien à Hasselt...
    Je trouve que c'est un exemple à épingler, un abus et un gaspillage qui devrait être plus que très lourdement sanctionné : nous ne payons pas des impôts pour obtenir de telles absurdités...
    Cela mériterait quelques démissions d'office pour incompétence inadmissible, de la part de nos donneurs de leçons !

  • Laurence Galanti

    31 octobre 2025

    Entièrement d'accord avec cette analyse et une incompréhension pour la recherche persistante du ministre fédéral à dévaloriser la profession médicale et son travail de qualité.