Fuites vers l’étranger, désengagement croissant, burn-out et démotivation : les signaux d’alerte s’accumulent dans la profession médicale. Face aux réformes imposées sans concertation, à la montée des contraintes administratives et à l’érosion du statut du médecin, de plus en plus de jeunes diplômés choisissent de quitter la Belgique ou d’abandonner leur vocation. Témoignage d’un jeune psychiatre qui, comme beaucoup, voit se fissurer les fondements d’un système qu’il admirait autrefois.
Avant des changements sociétaux profonds, il y a toujours des signes avant-coureurs. Dans ma promotion de psychiatrie (pourtant l’une des spécialisations actuellement les plus en pénurie), extrêmement peu nombreux étaient les consœurs et confrères qui, en bout de chemin, allaient rester en Belgique pour exercer. En demandant à mes camarades ce qu’ils allaient faire après, ce fut le choc de constater que les ETP qui auraient pu être dégagés à partir de cette promotion (d’une dizaine de personnes choisies cinq ans plus tôt) n’allaient pas au-delà de deux, voire trois (tout comme plusieurs promotions précédentes). Où partaient les autres ? Certains en France et dans les DOM-TOM (où, disons-le clairement, le cadre de vie est différent de celui de la Belgique), certains se redirigeaient vers d’autres métiers, certains s’arrêtaient un moment après un parcours épuisant (qui sait s’ils reprendront un jour ?), puis moi, qui préférais la carrière universitaire.
Un changement d’état d’esprit
Je me suis retrouvé depuis quelque temps à ne plus être aussi positif quant à nos conditions d’exercice de la médecine lorsque je parle de la Belgique. Avant, peu importe le collègue international avec qui je discutais, je disais toujours : « Viens en Belgique, nous sommes littéralement le meilleur pays pour pratiquer la médecine ! » Comment les choses ont changé entre-temps. Avant même ces derniers temps (et pendant toute la dernière législature), on remarquait déjà que la plupart des communications officielles limitaient fortement (voire excluaient totalement) la place des médecins dans les soins de santé. Combien d’événements scientifiques officiels sans intervenants médecins généralistes ou spécialistes ?
Un autre signe avant-coureur : avant de s’en prendre sérieusement à quelqu’un, on commence par l’isoler, par l’ignorer.
Des décisions politiques mal vécues
Puis est venue la nouvelle législature. Une annonce après l’autre, en l’espace de quelques mois, m’a fait réagir silencieusement : l’histoire des BIM (comme si les médecins allaient refuser de soigner un patient qui ne peut pas se le permettre !), l’intrusion dans la relation de confiance et les lignes de signalement pour les employeurs ou assureurs contre les médecins.
Des coups durs : cela signifie qu’on ne fait pas confiance aux médecins de ce pays.
Puis encore le transfert de compétences vers les professions pharmaceutiques et paramédicales. Puis encore le coup du financement des syndicats médicaux conditionné au taux de conventionnement de leurs membres. Enfin, ces dernières annonces catastrophiques concernant le retrait des numéros INAMI pour des raisons non disciplinaires, et l’interdiction ou la limitation des suppléments d’honoraires.
Un climat de défiance
Tout cela est survenu en l’espace de quelques mois. La concertation semble ne plus fonctionner, le souhait des syndicats n’est pas pris en compte. Généralement, on s’impose dans une discussion lorsqu’on est (ou que l’on se croit) en position de force, et que l’interlocuteur ne peut pas vraiment réagir, qu’il n’a pas le choix.
Mais ce n’est pas la position des médecins en Belgique : nos médecins, ultra compétents, peuvent exercer où ils veulent. Partout dans le monde, les autorités cherchent à renforcer leur attractivité médicale, conscientes que le savoir-faire clinique est devenu un capital stratégique. Le Luxembourg, l’Italie, l’Allemagne, les pays nordiques ou encore les Émirats arabes unis mettent en œuvre des incitants financiers, des environnements de travail stabilisés, des politiques de soutien au bien-être des soignants. Ils le font non par altruisme, mais parce qu’ils ont compris que l’accès à des soins de qualité dépend d’une condition préalable : avoir des médecins en nombre suffisant, disponibles, formés, motivés. La Belgique, quant à elle, agit comme si sa réserve médicale était inépuisable. Mais elle ne l’est pas. Les signaux d’alerte sont multiples : démissions précoces, désaffection pour certaines spécialités, taux élevé d’épuisement professionnel, hausse des intentions d’émigration, difficulté croissante à organiser des soins continus dans certaines régions. Une génération entière de jeunes médecins s’interroge aujourd’hui sur la soutenabilité d’un engagement que tout semble dissuader.
Des réformes imposées sans dialogue
Ce n’est pas la pénibilité du métier en soi qui pousse les médecins à tourner le dos à leur vocation : c’est l’accumulation de contraintes arbitraires, de suspicions institutionnalisées, de réformes imposées sans dialogue. La réforme du conventionnement, la menace de retrait du numéro INAMI, les limitations unilatérales des suppléments d’honoraires, l’extension massive du statut BIM sans compensation réelle, l’alourdissement de la bureaucratie quotidienne, tout cela contribue à un même message adressé aux médecins : votre autonomie ne vaut plus grand-chose, votre jugement clinique est subordonné à des critères administratifs, et vos revendications sont assimilées à de l’hostilité corporatiste.
Le rôle médical redéfini sans les médecins
Pire encore : la redéfinition du rôle médical se fait désormais sans le médecin. On va déléguer des actes diagnostiques, des prescriptions ou des suivis entiers à d’autres professionnels, sans réflexion sur l’intégrité du parcours de soins, et sans reconnaissance du rôle irremplaçable que joue la vision clinique d’ensemble. Or, déléguer sans organiser, transférer sans réfléchir aux conséquences systémiques, revient à démembrer silencieusement la médecine de premier recours et de spécialité.
Défendre la médecine libérale est nécessaire pour affirmer que le soin ne peut être dissocié de la responsabilité personnelle de celui qui le prodigue. Que l’autonomie professionnelle n’est pas un privilège, mais une garantie de qualité. Que la dignité du médecin (entendue comme la reconnaissance de son engagement, de son expertise, de sa conscience) est une condition de confiance pour l’ensemble du système.
Une alerte pour l’avenir des soins
La médecine belge a longtemps été un pilier de stabilité, de compétence et d’universalité. Elle le doit à celles et ceux qui, chaque jour, acceptent de prendre des décisions dans l’incertitude, de répondre à l’urgence sans relâche, d’écouter ce qui ne se dit pas toujours. Leur retirer progressivement les moyens, la reconnaissance et la liberté d’agir, c’est risquer de les perdre, et avec eux, une part essentielle de ce qui faisait la solidité de notre système de soins.
Lire aussi: Conventionnement partiel supprimé, primes limitées, INAMI révocable: ce que prévoit un nouveau projet de loi
Derniers commentaires
Philippe Burton
14 juin 2025Je reprends.... Vous ne voyez/comprenez pas que Vandebroeck n'en a rien à foutre seul compte le budget, l'enveloppe et sa future pension comme minsitre du plus important portefeuille. Donc je répète A QUAND CETTE GREVE AU FINISH ?
Philippe Burton
14 juin 2025Et cette grève c'est opiur quand. Vous ne voyez/comprenez
pa
Jacques De Toeuf
11 juin 2025Cet article devrait être reproduit dans chaque faculté de médecine pour avertir les étudiants de ce qui les attend, dans chaque hôpital et lieu de pratique médicale pour avertir les patients de l'impossibilité pour le médecin de choisir ce qui leur convient le mieux, des retards de prise en charge liés aux conditions matérielles et à la désorganisation de l'Etat.
Bravo pour cet aperçu sans concession de la dérive grave du système. malheureusement, il en va des soins de santé comme du climat: Cassandre et Andromaque ne sont pas entendues.
Anne-Laure Fraiture
11 juin 2025Al Fraiture ( dermato)
Magnifique article, tout est couché sur papier… ce qui est important maintenant, c’est de l’expliquer à nos patients à qui nos politiques bourrent le crâne que le médecin gagne sa vie comme un cochon… hum, certains oui, mais c’est loin d’être la majorité.
Ils doivent savoir qu’on passe des heures en dehors des consultations, à réfléchir à leurs cas, seul ou en concertation. Que la lourdeur administrative nous épuise . Et surtout, que nous ne recevons aucun soutien, au contraire, on ne nous met que des entraves dans notre pratique. Il s’agit maintenant d’une ENTRAVE GRAVE AUX DROITS DU TRAVAIL.
Informons nos patients
Je vais , dès ce jour, remettre à chacun de mes patients un petit texte explicatif afin qu’ils sachent.
Merci pour votre article
Pascale JENAER
10 juin 2025très bel article!
....mais qu'attendons nous pour nous bouger?
Julien Lemaire
10 juin 2025Parfaitement d’accord
Samuel Ska
10 juin 2025Qu'en est-il, par exemple, d'une consultation de sage-femme tarifée autour de 40 euros selon le barème INAMI et intégralement remboursée, comparée à une consultation chez un spécialiste, qui coûte 30 euros mais n'est remboursée qu'à hauteur de 12 euros ? Ce ministre offre une vision réductrice du médecin, comme s'il ne recherchait que le profit personnel.
Il oublie, en quelque sorte, l'engagement et le sacrifice derrière de longues années d'études réalisées dans l'espoir de servir autrui. On néglige les horaires harassants, la lourde charge morale liée aux actes accomplis et au suivi de nos patients, sans parler de cette empathie qui grignote nos rares instants de pause lorsque nous nous inquiétons pour eux et leur famille. Est-ce réellement que l'on s'en moque, que l'on ignore ou que l'on passe ces aspects sous silence ?
Les applaudissements recueillis durant la crise du COVID-19 s'estompent rapidement quand ce ministre, visiblement frustré par un sentiment difficile à définir, brandit l'image d'un médecin qui gagnerait « trop bien sa vie ». J'aspire à ce que cesse cette caricature : que le ministre prenne une semaine sur le terrain à nos côtés pour constater lui-même l'impact réel d'une vie de soignant, même s'il n'en assume pas toute la responsabilité.
Je ne donne pas 48 heures à ce ministre pour s'effondrer en privé, comme nous l'avons tous, un jour ou l'autre, expérimenté. La vocation médicale est ici malmenée par un discours qui menace de ravager un paysage hospitalier, jadis une référence à l'échelle internationale. Quel gâchis !
William Szombat
10 juin 2025je suis assez d'accord
on donne plus aux pharmaciens et on demande beaucoup plus aux infirmiers car cela coute moins cher qu'un médecin
la qualité de notre médecine se dégrade par une importation sauvage de médecins dans dix ans ce sera un m'en foutisme latin salarié comme en france entre autre