CT-scans lombaires : « L’intention est bonne, la méthode l’est moins » (Dr G. Bejjani)

Le Dr Gilbert Bejjani, président de l’Union des médecins (Absym Bruxelles), réagit à la limitation des prescriptions de CT-scans lombaires et au récent communiqué de la Société belge de radiologie (SBR). S’il partage la volonté de réduire les examens inutiles, il dénonce une méthode brutale, peu concertée et scientifiquement contestable, qui risque de fragiliser la première ligne et d’alourdir la prise en charge des patients.

À partir de 2026, les médecins généralistes ne pourront plus prescrire de CT-scans lombaires avec remboursement. Comment en est-on arrivé là ?

Tout est parti de la discussion budgétaire des 150 millions d’euros d’économies à réaliser dans le chef des médecins. Dans cette enveloppe figurait une proposition de rabotage linéaire des tarifs de radiologie, comme pour d’autres spécialités. Entre le début et la fin du mois d’octobre, la SBR a mené un lobbying intense. Résultat : le rabotage a disparu du budget, et à la place est arrivée une limitation de la prescription des CT-scans lombaires.

Cette manière de faire pose un vrai problème de méthode. En court-circuitant les syndicats médicaux, on affaiblit la concertation et on ouvre la voie à un modèle où chaque société scientifique ou professionnelle traite directement avec le cabinet du ministre. Cela devient la voie royale : celui qui a accès au cabinet impose sa mesure. Si c’est cela le nouveau mode de gouvernance, alors à quoi bon continuer à parler de représentation syndicale ?

Je ne conteste pas le droit des radiologues à défendre leur profession. C’est légitime. Mais je m’interroge sur les conséquences d’une telle méthode. Si chaque spécialité obtient ses ajustements en négociant seule, les syndicats perdront leur capacité à défendre l’intérêt collectif.

Réduire le volume ne dispense pas de revoir le prix

Je partage l’idée qu’il faut réduire le volume d’examens, mais cela n’exclut pas de revoir les tarifs. La SBR dit : « Les rabotages n’ont jamais réduit le volume. » C’est vrai. Mais si l’on suit ce raisonnement, alors aucune spécialité ne devrait être rabotée. Car chaque fois qu’une économie linéaire est décidée, elle n’a pas pour objectif de punir, mais de corriger un dépassement budgétaire temporaire.

Le prix du scanner en Belgique reste pourtant élevé. Lors des négociations de 2024, on estimait le coût moyen d’un CT à 170 euros, pour un budget total avoisinant les 470 millions d’euros. C’est davantage que la totalité des honoraires d’anesthésie pour toutes les procédures chirurgicales du pays. Le problème n’est donc pas seulement le volume, mais aussi la valeur de remboursement. Les deux doivent être discutés.

Des effets pervers

Selon l’étude EU-JUST-CT, 55 % des demandes de scanners lombaires proviennent des médecins généralistes. Cela signifie aussi que 45 % émanent d’autres spécialités. En d’autres termes, près d’une vingtaine de disciplines, souvent sans excès, se voient aujourd’hui collectivement punies pour les abus de quelques-unes. Cette logique revient à dire : « Puisque certains se trompent, tous doivent être sanctionnés. »

Les conséquences risquent d’être nombreuses. D’abord, un allongement des délais : les orthopédistes, neurologues ou médecins de médecine physique ne disposent ni du temps ni de la capacité d’absorber les volumes actuellement pris en charge par la première ligne.

Ensuite, un problème d’accessibilité : les généralistes, souvent conventionnés, orienteront leurs patients vers des spécialistes qui ne le sont pas forcément.

Enfin, un risque de dérive thérapeutique : un patient envoyé vers un chirurgien plutôt que vers un algologue aura plus de chances d’être opéré, là où une infiltration suffisait auparavant.

La mesure ne corrige d’ailleurs pas un déséquilibre structurel connu en Belgique : trop de scanners par rapport aux IRM. La Belgique affiche un ratio moyen de plus de deux scanners pour une IRM, contre 1,5 ailleurs en Europe. Ces dernières années, des propositions visaient à favoriser le transfert des moyens du CT vers l’IRM, plus adaptée à de nombreux diagnostics, mais ces pistes, discutées avec le même cabinet, ont été écartées. La SBR s’y est également opposée, bloquant à la fois l’installation de nouvelles IRM et la révision du financement. La contradiction est flagrante : on refusait hier d’élargir l’accès à l’imagerie raisonnée, et l’on défend aujourd’hui une mesure censée la promouvoir.

Il est vrai que cette limitation existe dans certains pays (par exemple, au Danemark), mais quasi tous les radiologues et spécialistes hospitaliers y sont salariés. La réflexion porte donc réellement sur le meilleur usage des moyens, et non sur une limitation choisie en alternative à la réduction de tarifs. Les radiologues n’y sont pas juges et parties.

Une mesure contraire à la liberté thérapeutique

La limitation de prescription décidée sans concertation et sans base scientifique solide porte atteinte à la liberté thérapeutique du médecin. On ne peut pas interdire un acte ou une prescription sans définir dans quelles conditions cela reste indiqué, ni préciser les critères de remboursement, ce qui aurait été la meilleure option. Cela a déjà été fait pour d’autres prestations. Le contrôle du volume passe par la définition des conditions d’usage ou de remboursement et ne devrait pas être défini sur base d’une interdiction large.

Le problème n’est pas la volonté de réguler, mais la manière. Les radiologues affirment aujourd’hui qu’il faut un Prescription Support System for Radiology (PSSR) pour encadrer les demandes, mais cela fait aussi plus de dix ans qu’ils en retardent la mise en œuvre. Et voilà qu’en deux semaines, au nom de cette même logique, on sort une interdiction brutale.

Au lieu d’accompagner les prescripteurs par des recommandations fondées sur le PSSR, on choisit la voie la plus simple : l’interdiction pure et simple. Si le PSSR doit se résumer à cela, alors il perd toute signification scientifique. Cette précipitation montre bien que la réflexion sur le PSSR n’a jamais été menée sérieusement : la mesure actuelle n’est pas le fruit d’un travail concerté, mais une réaction hâtive et imparfaite.

Je ne conteste pas le fond (il faut réduire le volume et favoriser la pertinence des examens), mais la méthode employée est brutale, et elle paraît mise en place de manière précipitée, sans réflexion approfondie, et certainement humiliante pour les autres spécialités.

L’intention est bonne. La manière, elle, ne l’est pas.

Lire aussi:

Les médecins généralistes ne pourront plus prescrire de CT-scan lombaire

> Limitation des demandes de CT-scans lombaires : les radiologues s'expliquent

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Derniers commentaires

  • Charles KARIGER

    04 novembre 2025

    Merci, Confrère Bejjani, votre propos est clair, utile et bienvenu.
    On perçoit au travers des propos et décisions du Ministre de la répression sociale une idée structurante, celle de la planification d’un futur (hélas indéterminé!). Normal de la part d’un économiste, même si divers exemples célèbres (famines monstrueuses en URSS et en Chine) ont démontré la vanité de ce genre de tentative.
    Il ne se résout pas à reconnaître que ce que veulent nos concitoyens est impossible.
    À la création du FNAMI en 1945-46, l’insuffisance cardiaque sévère était diagnostiquée cliniquement au lit du Patient (turgescence des jugulaires, dyspnée, etc) et se traitait par cinq gouttes de teinture de digitaline, le régime sans sel et le repos au lit. En 1945, qui pensait à une reprise de prothèse de hanche après 20 ans ? Le financement de tout cela n’exigeait guère de ressources.
    En 2025, on est sur une autre planète et l’accroissement arithmétique du financement n’a pas suivi l’envolée géométrique des coûts.
    Quand donc ce Ministre ou l’un de ses successeurs poseront-ils les bonnes questions ?
    • De quelles ressources financières avons-nous besoin pour tout cela ?
    • Combien pour ce qui s’y ajoutera dans les cinq ans à venir (ou dix) ?
    • Combien nos concitoyens peuvent-ils et veulent-ils y consacrer ?
    • Dans ces conditions, qu’est-ce que la Sécu prend en charge et qu’est-ce qu’elle ne prend pas en charge MÊME SI CE SERAIT UTILE OU NÉCESSAIRE?

    N’arrivant pas à ses fins, Monsieur le ministre, tente de maîtriser la situation par d’innombrables « rustines » qui comprennent toujours l’imputation d’une grande partie du coût des progrès sanitaires à la charge des soignants. (En clair : Si tu crois devoir leur prescrire cela, t’as qu’à le leur payer de ton pognon !)

    Premier résultat du gag des CT-scans lombaires : pour ceux qui ne sont pas à 250 euros près… pas de limitation…

    Leve Frank ! Leve Vooruit !