Parole(s) de généraliste: "je ne suis pas généraliste, mais médecin de famille! "( Virginie Derkenne )

Cap sur Rachecourt à l’extrême sud de la Belgique, non loin de la frontière française, en pleine «Lorraine belge» et plus précisément en Gaume, sa partie romane. Enclavé au creux de la vallée du ruisseau de Haza, affluent de la Vire, ce village qui recense près de 700 habitants fait partie de l’entité d’Aubange. Réputé pour sa Fête des Pommes, il a conservé, malgré l’implantation de nombreux frontaliers luxembourgeois et français, le caractère rural qui fait son charme, alternant les maisons typiques de la région en crépi et des implantations plus aérées. C’est au début d’une route sans issue composée de ces maisons typiques que le Dr Virginie Derkenne a installé son cabinet.

Douillettement installée dans son cabinet meublé entre autres de l’armoire et du bureau ayant appartenu à son grand-père médecin généraliste à Stavelot, le Dr Virginie Derkenne avoue n’avoir pas d’emblée pensé à la médecine au moment du choix de ses études universitaires. Provenant de la région liégeoise, et plus particulièrement de Visé, où elle a effectué ses études primaires au Sacré-Cœur et secondaires au collège Saint-Hadelin, elle s’est toujours intéressée à la science, forte de l’exemple d’un père opticien et d’une mère laborantine. Hésitant entre les études d’ingénieure et de médecine, elle a cependant opté pour la médecine, malgré les réticences de son grand-père qui voyait peu les femmes s’investir dans ce métier.

Mais le côté social de la médecine l’a emporté et elle a entamé ses études de médecine à l’université de Liège en 1994 avant d’être diplômée en 2002, une université où elle a scellé des amitiés «toujours bien actives malgré la distance qui nous sépare aujourd’hui…»

Une activité de médecine générale à temps plein
Ce n’est qu’en fin de cursus qu’elle a opté pour la médecine générale, après avoir un temps pensé à l’ophtalmologie (hérédité oblige) et réussi le concours sans être reprise car aucun poste ne s’ouvrait cette année-là (juste avant le numerus clausus). La médecine générale devenait alors pour elle une évidence, «une médecine générale que je voulais pratiquer dans un village pour la proximité avec les patients qu’offre cette implantation et le fait qu’ils consultent d’abord leur généraliste.»

Après un assistanat effectué à Musson, en province du Luxembourg dont son mari est originaire, tout en étant coachée par le Dr Liégeois d’Aubange, elle s’est associée avec ce dernier après ses années d’assistanat tout en vivant à Rachecourt où elle avait ouvert également un cabinet.

Quelques années après le décès du Dr Liégeois, avec l’aide de sa collègue et amie le Dr Anne-Sophie Loicq elle a ouvert, avec l’aide du CPAS d’Aubange, un cabinet médical qu’elles partagent avec 2 assistants, un cabinet auquel collaborent également tout en apportant son expérience le Dr Philippe Hanus, malgré son statut de pensionné, et l’assistant du Dr Dusart.

Quoi qu’il en soit, c’est à Rachecourt que le Dr Derkenne concentre son activité, un village où se côtoient les habitants de souche et les résidents qui travaillent au Luxembourg. «J’insiste cependant auprès de tous mes patients pour leur faire comprendre que je ne suis pas un médecin généraliste mais un médecin de famille, dans tout ce que cette appellation a de noble et d’interactif. Dans ce contexte, mes patients viennent voir “Virginie” et non pas la doctoresse…»

Au fil des années cependant, son activité est devenue telle qu’après une formation de maître de stage, elle a pu accueillir un assistant et continuer à recevoir de nouveaux patients. Son travail lui permet de recouvrir la plupart des domaines de la médecine générale «ce qui est important dans les petits villages où nous devons faire beaucoup de choses, notamment de la petite chirurgie, étant donné les délais pour obtenir une consultation spécialisée.»

Région transfrontalière, la Gaume a aussi des accords avec certains hôpitaux français pour que des examens (de radiologie par exemple) puissent y être pratiqués. La même chose vaut pour le Grand-Duché du Luxembourg, «mais nous ne recevons que rarement les rapports médicaux… et la communication entre hôpitaux et médecins généralistes n’y semble pas optimale». Quant aux médicaments, certains patients préfèrent aller les chercher dans les pays limitrophes, pour des raisons financières et de remboursement, «ce qui nous oblige à jongler avec les ordonnances, une pratique que je tente de limiter autant que possible.»

Une modification des pratiques liée à la pandémie
S’il est un reproche que peut faire le Dr Derkenne à la manière dont sa pratique a été modifiée par la pandémie, c’est que «nous sommes devenues des secrétaires de l’état. La charge administrative qui nous a été imposée est telle que j’ai parfois pensé arrêter la médecine générale, comme deux de mes collègues l’ont fait récemment, et que cela a dégoûté certains de mes assistants dans la poursuite de leur projet de médecine générale.» Le confinement, qui avait privilégié les consultations virtuelles avec tout ce que cela suppose de difficultés, notamment parce que l’on ne peut plus toucher les patients, a également modifié les relations médecin-patients (agressivité, impatience… de la part des patients et perte de la relation directe enrichissante qui nourrit le médecin de famille), que le déconfinement n’a pas beaucoup modifié.

En témoigne le nombre de coups de fil qu’elle reçoit durant ses consultations (parfois jusque 50 sur une matinée!) pour simplement gérer des demandes de test PCR ou de certificats. «À cela s’ajoute l’agressivité des patients par rapport à une situation dans laquelle nous ne pouvons gérer à la minute toutes les demandes et parce que le tracing est souvent impossible à obtenir. Par ailleurs, beaucoup de mes patients ne se retrouvent pas facilement sur le site internet dédié à la pandémie et nous téléphonent plutôt que d’utiliser le site.»

Et la famille dans tout cela?
«J’ai 3 enfants, avec, pour eux, la difficulté qu’aucune des activités susceptibles de les intéresser ne se retrouve à Rachecourt. Il faut donc parcourir plusieurs kilomètres pour les conduire à gauche et à droite. Mais c’est le lot de tous les parents ayant une activité professionnelle exigeante et vivant en zone rurale.» Cela dit, n’effectuant que peu de visites et privilégiant les consultations, il est encore possible pour elle de trouver un modus vivendi, «à condition de disposer de solutions de secours, comme le font bien volontiers mes beaux-parents. Je me suis par ailleurs organisée pour ne pas travailler le mercredi après-midi, mais très rapidement cette demi-journée a dû être consacrée aux aspects administratifs.»

Les à-côtés de la médecine
À côté de son activité classique de médecine générale, le Dr Derkenne assure également des consultations ONE «qui me permettent de rester proche de l’actualité pédiatrique, notamment pour ce qui concerne la nutrition, l’allaitement, les vaccins…». Elle suit également occasionnellement des formations ponctuelles sur les compléments alimentaires, qu’elle prescrit volontiers, car «à la campagne, les gens sont plus orientés “nature” et préfèrent parfois le complément alimentaire au “médicament”». Elle a également à son actif une connaissance des régimes protéinés, qu’elle propose en cas d’excès pondéral en complément aux conseils hygiéno-diététiques classiques, notamment chez ses patients obèses. Enfin, elle réalise au sein de la maison médicale des holter ainsi que des dépistages auditifs «mais je n’ai pas trouvé grand intérêt à poursuivre ces dépistages auditifs» et a intégré la mésothérapie comme traitement complémentaire aux traitements classiques et de kinésithérapie.

À côté des ces formations complémentaires, le Dr Derkenne est également active dans l’association des médecins généralistes de la province du Luxembourg dont elle fait partie du conseil d’administration, et avant cela, dans l’organisation du poste médical de garde. Elle est également impliquée dans l’organisation des réunions de formation continue malgré les difficultés de mise en place que cela suppose.

On comprend bien que, dans ce contexte, le Dr Derkenne ait besoin de faire du sport pour réduire voire éliminer son stress, un sport qu’elle pratique aussi souvent que possible dans des activités individuelles telles que le VTT ou le trail qui lui permettent en outre d’être dans la nature. La lecture est son autre hobby, surtout en vacances.

Une médecine générale qui pourrait encore évoluer dans un meilleur sens
La charge administrative imposée aux généralistes est trop lourde, estime le Dr Derkenne, c’est donc vers un allègement de cette charge qu’il faudrait évoluer en première instance, soit en la réduisant drastiquement, soit en octroyant des aides permettant d’engager un secrétariat, surtout pour les médecins pratiquant en solo ou dans les zones rurales ou reculées. Il lui paraît aussi nécessaire de voir l’État intervenir mieux financièrement dans la formation des jeunes médecins lors de leur assistanat en médecine générale (au Grand-Duché par exemple, l’État paye les maîtres de stage). «À côté de cela, il est important de renforcer les associations de médecins et de réduire les obligations de garde, surtout les nuits, car ces gardes, surtout dans nos régions rurales, demandent beaucoup d’énergie pour un “rendement” extrêmement faible, estime-t-elle. Dans notre secteur par exemple, il faut parfois plus de deux heures aller-retour pour assurer une visite…». Elle regrette également l’aspect parfois un peu tatillon des règles de prescription qui donnent l’impression de ne pas être maître de son destin, «et ce d’autant plus qu’on fait ce qu’on peut et qu’on est en première ligne!» Il est par ailleurs important, conclut-elle, que l’administration des soins de santé reconnaisse qu’en connaissant les patients, et leur famille, les médecins généralistes jouent un rôle économique et font gagner de l’argent à l’état, «mais aussi que parler avec nos patients nous mûrit et nous rend meilleurs…»

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Derniers commentaires

  • Paul JONCKHEERE

    26 juillet 2022

    Ayant un oncle medecin j’ai choisi la meme direction.Ayant mes parents divorces j’ai choisi les problemes sociaux de la medecine ou la medecine de famille.devant la montagne de travail administratif je suis heureux d’etre exonere de tout cela et d’etre enfin pensionne.