Entre préoccupations médicales et obligations familiales, un difficile équilibre (Dr Malika Msellek)

C’est en dégustant un excellent couscous partagé dans un snack à proximité de son cabinet que le Dr Malika Msellek a parcouru avec nous les étapes essentielles de son parcours. Mais aussi de ses passions et des causes qu’elle défend avec ardeur et opiniâtreté, des causes qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui: une femme médecin engagée, passionnée et passionnante, qui aimerait sensibiliser le monde médical à l’inclusion de la sexologie, de la nutrition clinique et du handicap dans la pratique de médecine générale, alors qu’aucune formation n’existe au sein du cursus médical universitaire.

Née à Agadir (Maroc) en 1977, le Dr Malika Msellek y a effectué ses études primaires et une grande partie de ses études secondaires avant d’arriver en Belgique par le biais du regroupement familial en 1993. «Je pouvais refuser de venir en Belgique, et c’était donc un choix de ma part, un choix difficile car c’était un saut dans l’inconnu. C’était aussi abandonner mes études au Maroc pour me plonger dans un autre système éducatif. Mais mes professeurs de secondaire m’ont rapidement rassurée en me disant qu’avec mes capacités et les bases reçues au Maroc, je devais pouvoir m’en sortir.» Ce qui a été le cas dans la majorité des branches, en particulier en sciences, une discipline dans laquelle elle excellait et dans laquelle le Maroc offrait une formation de grande qualité. «J’avais cependant des lacunes en français, que j’ai pu surmonter grâce à l’aide des enseignants de l’école “La Sainte Famille” de Schaerbeek, qui m’ont offert la possibilité d’une remédiation.»

Scientifique mais holistique avant tout
Au sortir de ses études secondaires en 1997, le choix des études de médecine lui est apparu comme une évidence, parce qu’elle aimait le contact humain, parce qu’elle était douée en sciences, et parce qu’elle a toujours eu en elle l’intention de soigner les personnes. Mais on était au début du numerus clausus, et l’accès aux études de médecine n’était pas évident. Malgré les difficultés, elle a pu entamer ses études de médecine à l’ULB où, très rapidement, elle s’est intéressée à ce qui tournait autour du laboratoire. Au point d’attirer l’attention du Pr Isabelle Salmon, professeur d’histologie qui, frappée par la qualité et la minutie des dessins de coupe qu’elle réalisait, lui avait suggéré de se diriger vers l’anatomopathologie, et d’entamer en parallèle à ses études de médecine 2 années de candidature en biologie moléculaire sur le même campus.

’est cependant vers la médecine générale qu’elle s’est dirigée après avoir été diplômée en 2006, malgré un fort attrait pour la gynécologie. Mais l’aspect holistique de la médecine générale l’a emporté, ce qui l’a conduite à entamer son assistanat en médecine générale à la maison médicale Le Miroir et Maritime avec le Dr Mustapha Bouhoute pour maître de stage, suivi d’un 2e assistanat à la maison médicale Esseghem avec le Dr Paul Leroy pour maître de stage. C’est durant ces stages qu’elle a eu un premier contact avec la sexologie, notamment à travers les plaintes de vaginisme de ses patientes marocaines, une population dans laquelle cette plainte est fréquente, «pour des raisons culturelles, et qui les entraînait à consulter très souvent des marabouts plutôt que des médecins ou des psychologues». Elle entame dès lors une formation en sexologie clinique (à l’époque à l’UCL), parce qu’elle voulait aider ces patientes à trouver une vraie solution, formation qu’elle termine en 2009. N’hésitant pas à en parler à ses patient.e.s, qui revenaient parfois quelques consultations plus tard sur le sujet, elle se construit ainsi une expérience plus que remarquable en la matière.

En maison médicale pour commencer
Forte de l’expérience acquise durant son assistanat, elle crée alors en 2009 la maison médicale Santé et Bien-être ASBL, au forfait à Schaerbeek, où elle intègre dans ses consultations au quotidien ses connaissances en sexologie et obtient rapidement une reconnaissance dans son entourage et auprès de collègues généralistes lorsqu’ils devaient poser la question de la sexualité à leurs patient.e.s. Entre peur d’intrusion dans la vie privée et inconnues par rapport à la manière de prendre en charge ces problèmes, les généralistes ne savent souvent pas très bien à qui référer leurs patient.e.s, surtout lorsqu’ils se trouvent dans un environnement tel que celui de Schaerbeek, constitué essentiellement de patients d’origine turque ou marocaine.

C’est dans ce cadre qu’elle a participé activement à un TFE réalisé par le Dr Laeticia Meyer, qui avait pour objectif de rédiger un outil sur la manière d’aborder la sexualité lors d’une consultation de médecine générale. Cet outil réalisé après plusieurs réunions en groupe avec des sexologues a été présenté récemment au CMGF (Congrès de Médecine Générale France)*. «Il est cependant difficile de l’apprendre à mes assistants car il est rare que les patients acceptent qu’ils assistent à la consultation, mais ils ont tous compris l’intérêt d’une formation en la matière», poursuit-elle en rappelant qu’une formation à la sexologie est organisée par quasi toutes les universités, relativement coûteuse, mais très intéressante sur le plan clinique. «S’il existe plusieurs spécialisations à la sexologie, dont la sexologie fonctionnelle, je me suis de mon côté limitée dans ma pratique à la sexologie clinique, notamment parce que je vois beaucoup de femmes souffrant de vaginisme. Mais pas uniquement, car les causes iatrogènes (les bêtabloquants par exemple pour les troubles de l’érection ou les antidépresseurs et les pilules contraceptives dans la perte de la libido) ne sont pas rares. En présence de troubles psychologiques, je collabore aussi avec des psychologues et une psychiatre, parce que j’estime ne pas pouvoir tout soigner.»

Le forfait n’est pas un long fleuve tranquille
«Le système forfaitaire, qui a par ailleurs énormément d’avantages, avait un côté restrictif sur ma liberté thérapeutique, car ce système contraint le thérapeute à exercer uniquement dans ce système fermé aux autres patients (non inscrits) et avec une limite géographique.» Après avoir posé la question de savoir comment rembourser les patients d’une consultation de sexologie, même lorsqu’ils sont envoyés par une autre maison médicale, le Dr Msellek n’a pas obtenu d’autre réponse que le bon vouloir des autres maisons médicales pour accorder le remboursement à leurs patients. Quant à l’INAMI, le problème est différent, car il fallait justifier la raison pour laquelle elle effectue un acte médical auprès d’un patient qui n’est pas inscrit dans la maison médicale. «Devant ces difficultés, j’ai décidé d’arrêter ma pratique en maison médicale au forfait et d’ouvrir un cabinet avec remboursement à l’acte.»

Un centre de santé holistique
«Le métier de généraliste est par essence holistique car il tient compte de tous les aspects de la vie de son patient, écrit-elle sur son site. Mais le terrain m’a appris que le travail collaboratif sur le même lieu autour et avec la collaboration du patient lui-même est ce qui donne le meilleur des résultats. J’ai ainsi imaginé mon centre avec plusieurs espaces pouvant accueillir plusieurs thérapeutes paramédicaux que je vais recruter soigneusement comme partageant la même philosophie que la mienne: espace kiné pour la mobilité, espace psychologique pour la santé mentale, espace de pratique de méditation et relaxation pour la gestion du stress…»

La nutrition clinique comme autre pilier de sa pratique
Le Dr Malika Msellek est depuis toujours intéressée par l’alimentation, comme en témoigne le thème de son TFE de 4e doctorat, qui portait sur l’impact du jeûne et de l’alimentation pendant le ramadan sur les paramètres glycémiques et le cholestérol, en collaborant avec le CIRIHA (Centre d’Information et de Recherche sur les Intolérances et l’Hygiene Alimentaires) pour la réalisation des anamnèses alimentaires. Les habitudes alimentaires ayant une influence considérable sur les patients («on le voit notamment avec l’explosion de cas de stéatose hépatique»), elle s’est formée ensuite à la nutrition clinique, pour obtenir en 2021 le diplôme interuniversitaire ULB/UCL/ULg, afin de conduire ses patients à un environnement nutritionnel plus sain pour leur santé et leur confort intestinal. «Je profite d’ailleurs de l’occasion pour signaler que CIRIHA a édité 4 livres d’anamnèse diététique, qui tiennent compte de l’origine du patient (belge, marocaine, congolaise et turque)**, avec ses habitudes alimentaires spécifiques et des photos de ses aliments habituels. J’utilise ces outils lors de mes consultations et ces photos permettent au patient de donner un sens à ce qu’il doit suivre.»

Au-delà de la médecine, la personne: un engagement pour le handicap
Les préoccupations du Dr Malika Msellek sont multiples et elle ne cache pas son intérêt pour la psychothérapie, l’hypnose, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing)… Mais ce qui la caractérise le plus est son implication dans l’ASBL Métiss’âges (Métiss’âges senior et Métiss’âges handicap), fondée avec plusieurs amis et membres de sa famille, tous bénévoles motivés, mise sur pied pour créer du lien et lutter contre l’isolement social des séniors et des personnes en situation de handicap (Figure 1). Elle a d’ailleurs créé dans son centre un espace pour accueillir cette ASBL qui a été créée car ses aînés, jumeaux de 14 ans, sont nés avec une anomalie génétique rare qui a engendré un retard mental important. «La vie de maman de 3 enfants (car elle a aussi un 3e enfant, âgé aujourd’hui de 6 ans et demi) a enrichi ma formation médicale pédiatrique avec les petits trucs et astuces dont les parents ont souvent besoin et m’a donné l’envie d’accorder un accueil spécial à mes petits patients tout comme aux patients avec handicap mental ou moteur, et leur apporter toutes les informations qu’ils souhaitent en termes de prise en charge à travers un groupe de parole», avoue-t-elle pour justifier son implication dans l’ASBL. La tâche est colossale et les besoins abyssaux, notamment dans la reconnaissance de la siginfication des symptômes chez une personne qui ne peut s’exprimer, mais aussi dans la référence à des médecins spécialistes capables de traiter mais aussi de prendre le temps nécessaire lorsqu’ils ont une personne handicapée devant eux. Enfin, elle vient aussi d’accepter la place de médecin référent du centre La Forestière ASBL, un centre de jour pour adultes porteurs de handicap mental et est devenue membre de la CCPPH (cellule consultative de la Personne Porteuse de Handicap) de l’administration communale de Schaerbeek.

En dehors de ses engagements, elle a également de nombreux hobbies, dont la natation: elle nage régulièrement, fait de la plongée sous-marine lors de ses voyages ou en piscine profonde (Nemo 33), pratique le Pilates et la méditation de pleine conscience.

Pour conclure
«En un mot comme en cent, il est valorisant que la médecine générale soit devenue une spécialité à part entière. Mais cela demande encore quelques accommodements pour qu’elle devienne réellement holistique», conclut-elle, ajoutant le souhait que «les spécialités ouvertes aux médecins comme la sexologie et la nutrition clinique, qui sont des formations universitaires, puissent être reconnues par un numéro INAMI spécifique avec une facturation propre.»

  • * Document disponible auprès de la rédaction sur simple demande

    ** www.ciriha.org

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