Même après son burn-out, le commissaire au coronavirus Pedro Facon reste un homme extrêmement occupé. Après avoir dû reporter notre rendez-vous à deux reprises, la troisième fut la bonne. Nous le retrouvons pour une interview exclusive par écran interposé… à un moment-charnière, au lendemain de l’annonce du troisième confinement.
Pedro Facon: «Le renforcement des mesures n’était pas inattendu: non seulement les chiffres des admissions aux soins intensifs sont repartis à la hausse, mais nous nous attendons aussi à ce que la durée moyenne du séjour soit plus longue parce qu’il est question de patients plus jeunes. Cela peut sembler paradoxal mais c’est logique, puisque le nombre moyen de décès aux soins intensifs va être plus faible».
«J’ai mis beaucoup de choses de côté pour mon aventure de commissaire au coronavirus. J’ai ainsi démissionné de mon poste de directeur général à la santé publique. Je ne voulais pas de traitement de faveur [de parachute, ndlr] et une fonction de DG, c’est de toute façon déjà plus qu’un plein temps. Je suis généralement plutôt porté sur le long terme mais, aujourd’hui, la priorité est de gérer la crise aiguë du coronavirus.»
De nombreuses personnes voient en vous le candidat idéal pour succéder à Jo De Cock…
«C’est ce qu’on dit, mais je ne me suis pas inscrit pour la procédure de recrutement – c’était au moment où j’étais malade chez moi. Je trouve que l’Inami est une institution formidable, où j’ai d’ailleurs fait mes débuts. C’est un rêve… mais je n’ai jamais été convaincu que j’avais vraiment le profil de l’emploi. Ce n’est pas si simple de mettre les choses en mouvement, et je ne sais pas si on a vraiment le loisir de le faire dans cette fonction.»
«Pendant 30 ans, Jo De Cock a fait un travail absolument sublime à ce poste. Il a vraiment laissé sa marque, mais nous sommes deux personnes complètement différentes. Sans forcément dire jamais, je pense que je suis peut-être mieux taillé pour être directeur-général (DG), comme Brieuc Van Damme aujourd’hui ou moi-même dans le passé au SPF Santé publique. On est encore un peu plus proche de la prise de décision, avec un champ plus limité.»
«Être à la tête de l’Inami, c’est diriger non seulement l’assurance maladie, qui me passionne, mais aussi le volet invalidité. Et puis les services de contrôle, dont je pense qu’ils pourraient fonctionner d’une manière un peu différente. Et le Fonds des Accidents Médicaux. Quand on grimpe les échelons d’une organisation, on risque de se retrouver à un niveau où on a encore une vague idée de tout, mais où on finit par être un peu ‘déconnecté’. Jo De Cock était quelqu’un d’exceptionnel en ce sens qu’il est toujours parvenu à rester au courant du contenu des dossiers, et ce à un niveau très technique. Mais soyons honnêtes, on ne peut pas tout faire bouger en même temps et, à mon sens, les progrès de l’Inami au cours des décennies écoulées se sont surtout concentrés sur l’assurance maladie. Je pense que c’est quelque chose qui me frustrerait.»
Vous avez contribué à donner forme au «redesign» de l’Inami, du SPF et de l’AFMPS. Êtes-vous satisfait du résultat?
«Absolument. Le déménagement dans le nouveau bâtiment n’est pas purement symbolique. Le département de Brieuc et le mien ont été mélangés sur un même étage, avec une organisation plus thématique… et ils vont être amenés à collaborer davantage, ce qui représente déjà une vraie révolution. Cela dit, le redesign n’est pas terminé pour autant. Je voulais par exemple aussi regrouper le KCE et Sciensano. La question se pose de savoir s’il ne faudrait pas, à terme, fusionner certains services. Je pense qu’il faut oser en parler.»
«Que restera-t-il encore s’il y a une nouvelle grande réforme de l’État dans quelques années? Il est important de conserver une échelle suffisante. Tant l’Inami que le SPF ont du mal à attirer certains profils, et ce serait sans doute un peu plus facile ensemble. Il est aussi absurde d’avoir un service qui s’occupe de la qualité au niveau de l’Inami et un autre au niveau du SPF Santé publique.»
Si vous étiez ministre, quelles seraient vos priorités?
«Le budget pluriannuel que l’Inami vient de lancer. Aujourd’hui, la dynamique s’est enclenchée, les moyens sont là et tous les acteurs concernés sont convaincus par les réformes. Nous avons à présent besoin d’un new deal qui nous permettra d’avancer pendant une décennie. Et le grand secteur prioritaire, c’est celui des hôpitaux.»
Un gros coup de mou
Même les hauts fonctionnaires ne sont pas épargnés par le burn-out, et Pedro Facon n’en a pas fait un tabou. Comment en est-il arrivé là et quels enseignements a-t-il tirés de l’expérience?
«Je n’étais déjà pas au mieux de ma forme quand j’ai pris mes fonctions au mois d’octobre. En décembre, j’ai commencé à me sentir de plus en plus frustré, de plus en plus fatigué. Je n’arrivais plus à prendre de la distance, ce qui s’est répercuté sur mon fonctionnement et sur mon sommeil. Je me tracassais beaucoup et j’ai développé des troubles anxieux… et là, ça ne pardonne pas.»
Le bouleversement de la constellation politique y a-t-il été pour quelque chose, en combinaison avec une moindre prise sur son travail? «Sans aucun doute. Tout à coup, il y a eu le nouveau gouvernement et je me suis retrouvé à la tête de ce commissariat, où on est en réseau avec tout le monde. On essaie de donner un coup de fouet et d’intégrer, mais la prise de décision est encore une tout autre paire de manches, avec des dossiers embourbés depuis des mois, comme ceux du testing et du plan de sortie. Ensuite, il nous fallait du temps pour voir quel rôle allaient jouer les cabinets et pour développer une relation de confiance avec la sphère politique. Entre-temps, tout se passe sans problème… mais à l’époque, c’était vraiment très difficile, dans un contexte où les contacts étaient presque exclusivement virtuels. Or cet aspect relationnel est très important pour moi.»
«Aujourd’hui, je veille à ne plus travailler tard tous les soirs et à ne plus y consacrer tout mon weekend. J’essaie de déconnecter de temps en temps et de déléguer davantage. Je vais nager toutes les semaines, j’aime lire (même si je n’y arrive pas toujours)… et puis il y a toujours Netflix (rire). J’ai toujours aimé aller manger ou prendre un verre en couple ou entre amis pour me détendre, mais ce n’est évidemment plus possible pour le moment. Il faut donc se rabattre sur de petites choses, dont la musique. J’ai beaucoup découvert grâce à Spotify.»
«J’ai heureusement été beaucoup soutenu au cours de cette période difficile – par des collègues rencontrés du temps de l’unif, de l’Inami, du cabinet et de la DG, mais aussi par Jo De Cock et Maggie De Block, avec son expérience de généraliste. Je ne suis jamais parti de nulle part en claquant la porte et j’espère ne jamais le faire dans le futur.»
Derniers commentaires
Jean GERAIN
22 avril 2021Cher Monsieur Facon,
Ayez le courage d'aller expliquer votre burnout au personnel soignant des hôpitaux, aux médecins généralistes, aux infirmières à domicile... Ils sont tous en burnout depuis un an mais, parce qu'ils sont professionnels et placent la santé des patients au coeur de leurs préoccupations, ils préfèrent dépérir plutôt que de faillir à leur engagement.
Au fait, votre engagement à vous, hormis votre soif de pouvoir politique très bien rémunéré, où est-il ?
Dr Jean Gérain
Alain JORION
22 avril 2021Môssieur se déclare en burn out , mais se préoccupe comme roupie de sansonnet du nombre de médecins décédés de la covid dans l' exercice de leur métier et de leur devoir. Il est indécent de voir se publier des jérémiades pareilles! Qu' en aurait pensé son ancienne patronne , elle qui traitait les généralistes de pleurnichards ?
Hors de ma vue et de mes oreilles !
Alain jorion