Le choix de la médecine générale répond, dans l’immense majorité des cas, sinon la totalité, à un idéal. Mais cet idéal se heurte très tôt à la réalité quotidienne de l’exercice professionnel. Comment concilier ces deux aspects et faire le choix de rester ? Le Dr Pierre-Louis Deudon, généraliste à Bruxelles, Vice-président de la FAMGB, nous apporte son témoignage et nous parle de son cheminement.
Quand on choisit une profession, c’est en fonction de l’idée qu’on s’en fait a priori. Au moment d’entamer des études supérieures, j’hésitais entre l’histoire et les sciences humaines, d’une part, la médecine d’autre part. Plusieurs raisons m’ont poussé à choisir la médecine. Je pouvais y trouver la sécurité d’emploi et la sécurité financière. Mais surtout, je pouvais jouer un rôle social et espérais bénéficier d’une reconnaissance morale de la part des personnes que je servirais. D’un point de vue intellectuel, j’étais également séduit par le savoir pour le savoir et par le sens du devoir. J’ai même découvert, à la fin de mes études, qu’on pouvait faire bien plus que de la médecine avec ce diplôme, comme par exemple du management de projet. C’est un peu dans cet esprit que j’ai d’abord été médecin inspecteur d’hygiène pendant un an et demi, avant de revenir à la médecine générale. Au sortir des études, je n’étais pas prêt et je n’avais pas les moyens de me lancer d’emblée comme généraliste. Ce « détour initial » par une fonction de santé publique fut pour moi une très belle expérience.
Les défis du quotidien
Aujourd’hui, avec plusieurs années de pratique en médecine générale, je me retrouve quelque peu en recherche de sens. Je dois faire face à une énorme charge de travail. Les procédures imposées sont de plus en plus nombreuses et m’éloignent de ma mission première, qui est le soin apporté aux patients. Les dossiers administratifs à tenir sont de plus en plus lourds, et je dois rédiger quantité de certificats inutiles. Tout cela va-t-il finir par l’emporter sur ma vocation initiale ? Il y a aussi l’exigence des patients, qui attendent parfois de nous, médecins, des réponses immédiates, efficaces à 100 % et sans effort de préférence. La charge de travail et la charge mentale qui repose sur nos épaules est très lourde. En plus de cela, il existe d’autres aspects auxquels nous n’avons pas été formés : citons, par exemple, la gestion de la pratique quotidienne, les questions financières et les problèmes d’assurance.
Trouver des solutions collectives
Chemin faisant, j’ai tout de même pu trouver une voie de solution. J’ai progressivement découvert qu’en temps de crise, la meilleure manière de tenir le coup était de se serrer les coudes entre confrères, entre soignants, de se parler, de s’écouter, de se conseiller mutuellement. Un autre aspect consistait à me faire aider dans les tâches qui ne sont pas directement concernées par mon rôle de soignant. J’ai engagé un assistant administratif et j’ai eu la chance qu’il soit extrêmement compétent. J’ai aussi appris à me reposer en partie sur d’autres professionnels de la santé qui peuvent prendre en charge une partie des soins : infirmiers, kinés, psychologues… Cela m’a clairement protégé contre la tentation d’abandon qui me venait de temps à autre.
L'impact de la solitude professionnelle
Je ne suis pas le seul à ressentir cette tentation. D’autres confrères y sont confrontés. Mais lorsque leur abandon a un impact sur notre propre exercice, cela devient dur. Par exemple, tel spécialiste ne fournit pas de rapport concernant un patient que je lui ai pourtant référé afin qu’il m’aide à mieux comprendre son cas. Cela complique et alourdit singulièrement ma tâche.
Une solution individuelle, un problème collectif
Cette solution que j’ai peu à peu mise en place, celle de m’insérer dans un réseau, me satisfait à titre individuel. Mais je reste largement sur ma faim au niveau collectif. Le système ne répond pas aux besoins des professionnels et, par là, aux besoins des patients. J’observe le contexte hostile dans lequel les jeunes confrères doivent entamer leur carrière. Ils doivent tout trouver – ou presque – tout seuls, ce qui est de plus en plus compliqué. Par conséquent, le risque de décrochage et celui de les voir renoncer à s’installer dans une zone en pénurie sont de plus en plus grands. Les pénuries pourraient s’accentuer. C’est un problème structurel.
Conciliation vie professionnelle et vie personnelle
Les jeunes médecins, comme moi-même, mais aussi les plus expérimentés, se posent des questions sur des problèmes qui ne sont pas directement liés à la médecine mais qui ont d’importantes répercussions sur leur vie personnelle. Si je m’installe à tel endroit, vais-je trouver une place dans une crèche ou une garderie pour mon jeune enfant (présent ou à venir) ? Y a-t-il dans les environs un médecin pour me remplacer quand je voudrai souffler un peu ou quand je serai momentanément dans l’impossibilité d’exercer ? Mon compagnon ou ma compagne trouvera-t-il ou -elle les conditions d’un exercice professionnel satisfaisant ? Mes parents sont âgés, ne vais-je pas être trop loin d’eux pour pouvoir les aider ? Bref, la situation dans laquelle je m’engage professionnellement est-elle compatible avec les projets et les contraintes de ma vie personnelle ? J’estime avoir droit à un tel projet de vie et à sa réalisation. Au lieu de cela, on demande de plus en plus aux soignants, alors que la tendance sociétale dans son ensemble est de valoriser plus de temps libre.
Engagement professionnel : un défi collectif
Pour ces raisons, il est également de plus en plus difficile de mobiliser les jeunes confrères dans les organes de défense professionnelle, structures qui pourraient les aider mais qu’ils ne connaissent parfois même pas. En ce qui me concerne, j’ai choisi de m’engager dans la FAMGB, la Fédération des Associations de Médecins Généralistes de Bruxelles, sur un volet opérationnel. J’espère à travers cet engagement améliorer mon quotidien et celui de mes confrères et, idéalement, celui des autres soignants dans la région. Cette priorité donnée à mes confrères et consœurs est parfois taxée de corporatisme. Mais en même temps, si nos organisations ne défendent pas la profession, qui le fera ?
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Philippe TASSART
04 novembre 2024Loin de moi l'idée de nier la problématique de notre métier de MG. Je relève simplement que ce texte aurait pu être écrit par des représentants de dizaines d'autres métiers, si l'on s'en tient aux idées fortes. Sens donné à notre métier, administration, problèmes familiaux, pression sociale, charge de travail, organisation familiale, etc ... Et si on abandonnait le nombrilisme ambiant ?