Peut-on vivre déconnecté ? (Dr Lawrence Cuvelier)

Informatisation des données de santé et de la pratique médicale : gain de temps, d’efficience et soutien efficace à la pratique au service des médecins généralistes … ou l’inverse ?

Hier matin, au début de ma consultation, la terre s’est déchirée et un gouffre s’est ouvert sous mes pieds : pas moyen d’ouvrir ma session informatique ! Je m’acharne, les minutes passent, puis les dizaines de minutes, le téléphone s’agite, la salle d’attente se remplit, on toque à la porte et toujours rien ! Quand j’ai dû me résoudre à pratiquer sans mon précieux logiciel, je me suis senti comme le pilote d’un avion de chasse obligé de rentrer à pied à la base. J’avais beaucoup d’appréhension, mais au terme de cette consultation sans connexion où j’avais vu 15 patients, j’étais toujours vivant et plutôt en forme !

MG et connexion, amours et frictions

Cette plongée dans un passé déconnecté fut une expérience pleine d’enseignements. Le premier, à ma grande surprise, c’est que j’avais gagné du temps ! J’avais dû rédiger mes prescriptions à la main, vérifier sur le CBIP les conditionnements de chaque grande boîte de médicaments – impossible de me souvenir s’il y a 90, 92, 96, 98, 100 ou 120, comprimés, c’est le logiciel qui savait tout et me prévenait des ruptures de stock – et malgré cela j’avais gagné du temps ! Il faut dire que les autres documents sont bien plus simples à rédiger à la main ! L’autre constat est que, pour la majorité des consultations, je me suis rendu compte que le rapport écrit n’a probablement pas d’intérêt, je n’ai eu aucun problème à m’en passer et je n’imagine pas les confrères de ma structure de santé ou d’autres prestataires s’attarder sur une consultation banale.

Les médecins, et en particulier les généralistes belges, ont fourni des efforts considérables pour informatiser leur travail et l’avance de notre pays dans ce domaine est exceptionnelle. Il y a de vrais progrès comme la prescription électronique ou le partage des données médicales avec accès à toutes celles publiées dans n’importe quel hôpital de Belgique ou dans les résumés faits par les généralistes. Le portail Ma Santé donne aux patients accès à certaines de leurs données et m’a permis, au cours de la matinée sans logiciel, de commenter leurs résultats sur leurs smartphones.

Depuis plus de 20 ans, je suis Président du conseil d’administration d’Abrumet qui héberge le réseau santé bruxellois, une position qui me permet d’accéder aux travaux d’experts et d’observer les démarches de nos autorités, certaines visionnaires, d’autres me laissant perplexe, d’autres encore carrément loufoques. Mais cette matinée sans logiciel a recadré ma façon de voir quelles sont les démarches utiles au patient ou au médecin pour l’amélioration de la santé. Ainsi, il est incontestable que le rapport efficacité/coût des annotations est défavorable car dans l’immense majorité des cas elles ne serviront à rien dans la perspective d’un meilleur soin et n’auront qu’un intérêt historique si un problème grave y est annoncé. Une autre objection concerne le résumé de la consultation par un code : ceux que l’on nous demande d’utiliser, icd 2 et 10, sont soit vagues soit trop précis et orientés hôpitaux (facturation, etc). D’autres codes existent et offrent des alternatives à envisager.

Upgrades pour un contrat de mariage

Entendons-nous bien : je ne remets pas en question l’informatisation médicale, mais je remarque qu’elle prend beaucoup de temps. En fait, on a l’impression que les promoteurs poursuivent d’autres buts, certes très nobles, comme par exemple de démontrer l’utilité du travail trop souvent déconsidéré des généralistes. Mais de là à nous astreindre à un travail considérable de peu d’utilité … Même si nous recevons une prime à cet effet et que, à d’autres niveaux, avoir un dossier bien structuré n’est pas dénué d’intérêt, il importe que son but premier soit et demeure l’amélioration des soins.

Alors, peut-on vivre sans connexion ? Non, plus au XXIe siècle. Mais il faut améliorer les contenus et les objectifs de l’informatisation. Et porter ces améliorations au contrat de mariage (pas malheureux mais un peu forcé ?) entre informatique et MG.

L’informatique au service du médecin, et non l’inverse

Comment ne pas tenir compte des frustrations devant un écran qui n’affiche pas la réponse à une requête ? Le médecin et le patient sont là à se regarder l’air misérable en attendant le bon vouloir des méandres informatiques. Le GBO s’est montré proactif en mettant en place “eHealth bugs”, un formulaire de notification des problèmes rencontrés avec la plateforme eHealth et tous les outils informatiques qui en dépendent.

Mais, parfois, comme dans d’autres domaines, c’est toujours la faute de l’autre …

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Derniers commentaires

  • Charles KARIGER

    26 juin 2024

    Notre avenir:

    The Annals of Family Medicinewww.annfammed.org
    1. doi: 10.1370/afm.2121 Ann Fam Med September/October 2017 vol. 15 no. 5 419-426
    Annals Journal Club
    Tethered to the EHR: Primary Care Physician Workload Assessment Using EHR Event Log Data and Time-Motion Observations
    1. Brian G. Arndt, MD1⇑,
    2. John W. Beasley, MD1,2,
    3. Michelle D. Watkinson, MPH1,
    4. Jonathan L. Temte, MD, PhD1,
    5. Wen-Jan Tuan, MS, MPH1,
    6. Christine A. Sinsky, MD3 and
    7. Valerie J. Gilchrist, MD1
    1. 1School of Medicine and Public Health, Department of Family Medicine and Community Health, University of Wisconsin, Madison, Wisconsin
    2. 2University of Wisconsin College of Engineering, Department of Industrial and Systems Engineering, Madison, Wisconsin
    3. 3American Medical Association, Chicago, Illinois
    1. CORRESPONDING AUTHOR: Brian G. Arndt, MD, Department of Family Medicine and Community Health, University of Wisconsin, 1100 Delaplaine Ct, Madison, WI 53715, brian.arndt@fammed.wisc.edu

    Abstract
    PURPOSE Primary care physicians spend nearly 2 hours on electronic health record (EHR) tasks per hour of direct patient care. Demand for non–face-to-face care, such as communication through a patient portal and administrative tasks, is increasing and contributing to burnout. The goal of this study was to assess time allocated by primary care physicians within the EHR as indicated by EHR user-event log data, both during clinic hours (defined as 8:00 am to 6:00 pm Monday through Friday) and outside clinic hours.
    METHODS We conducted a retrospective cohort study of 142 family medicine physicians in a single system in southern Wisconsin. All Epic (Epic Systems Corporation) EHR interactions were captured from “event logging” records over a 3-year period for both direct patient care and non–face-to-face activities, and were validated by direct observation. EHR events were assigned to 1 of 15 EHR task categories and allocated to either during or after clinic hours.

    RESULTS Clinicians spent 355 minutes (5.9 hours) of an 11.4-hour workday in the EHR per weekday per 1.0 clinical full-time equivalent: 269 minutes (4.5 hours) during clinic hours and 86 minutes (1.4 hours) after clinic hours.

    Clerical and administrative tasks including documentation, order entry, billing and coding, and system security accounted for nearly one-half of the total EHR time (157 minutes, 44.2%). Inbox management accounted for another 85 minutes (23.7%).

    CONCLUSIONS Primary care physicians spend more than one-half of their workday, nearly 6 hours, interacting with the EHR during and after clinic hours. EHR event logs can identify areas of EHR-related work that could be delegated, thus reducing workload, improving professional satisfaction, and decreasing burnout.
    Direct time-motion observations validated EHR-event log data as a reliable source of information regarding clinician time allocation.

    Super !

  • Yves PASTORET

    26 juin 2024

    Ce qui me laisse perplexe c'est qu'il ait fallu plusieurs lustres pour vous rendre compte que dans la majorité des cas des consultations (ne parlons pas des VAD) , l'informatique non seulement nous formate l'esprit pour peu qu'il en reste un minimum d'indépendance (pour des universitaires initialement formés à la libre pensée )mais encore est une ogresse temporelle dans le cadre de procédures dont nous ne maitrisons ni la mise en place ni le décours technique .