Les données des patients représentent une véritable mine d'or pour les entreprises actives dans les technologies médicales. Encore faut-il pouvoir les exploiter. Experts wallons et espagnols ont tracé les grands défis du secteur lors d'une conférence à Málaga dans le cadre de Casa Valonia, une opération de l'Awex sur trois jours pour échanger idées et bonnes pratiques.
Le cœur du secteur, "ce sont vraiment les données" comme l'âge, le sexe, les facteurs génétiques... de la patientèle, souligne Antonio Alcantara Lopez, de OnTech, un cluster espagnol regroupant des institutions publiques, des universités, des centres technologiques et des entreprises nationales et européennes.
"Plus on en a et plus elles sont variées, plus juste et précis est le modèle", embraie Frédéric Sallmann, coordinateur de MedReSyst (pour "médecine des réseaux et des systèmes"), qui rassemble les universités francophones, deux centres de recherche et plusieurs hôpitaux. En Wallonie, ce n'est pas la disponibilité de ces données qui manque. Le problème, c'est qu'elles "ne sont pas nécessairement numérisées et harmonisées: certains encodent par exemple des milligrammes là où d'autres notent des microgrammes", illustre-t-il. "Ces données ne sont pas non plus toujours reprises sous le même format, ce qu'on appell e l'interopérabilité."
Or, "les hôpitaux se rendent de plus en plus compte de la mine d'or qu'ils ont entre les mains et, comme ils ont besoin d'argent, ils pourraient être tentés de monnayer" les données. C'est pourquoi le fonds d'investissement public Wallonie Santé propose par exemple le prêt WallonIA HEALTH pour des investissements relatifs à l'intelligence artificielle.
Parmi les obstacles qui se dressent sur le chemin des acteurs de l'e-santé, Frédéric Sallmann cite encore l'intégration des outils d'intelligence artificielle (IA) dans le processus de travail des soignants, l'éducation à ces outils et l'éthique qui y est liée, mais aussi la confiance même des soignants dans l'IA, eux qui doivent assumer la responsabilité de la décision prise en partie grâce à ce soutien numérique.
À ces défis s'ajoutent le fait que le secteur des technologies médicales "est encore jeune chez nous" en regard par exemple du fleuron belge de la biopharmaceutique, complète Fabrizio Giannotta, expert pour la plateforme WSL, qui vise à renforcer les liens entre les différents acteurs des "medtech". "Les technologies médicales couvrent des champs hétérogènes, des lunettes de vue aux tests de diagnostic (comme ceux de grossesse) en passant par toutes les applications de santé et les montres connectées." Le secteur est actuellement "mal structuré avec beaucoup d'acteurs qui ne fonctionnent pas en cluster", souligne-t-il. Avec WSL, "on essaie de poser les bases en Wallonie de l'écosystème medtech".
En venant à Málaga, l'entrepreneur espère s'inspirer "des choses qui ont bien fonctionné chez nos voisins. L'idée, ce n'est pas de réinventer la roue", sourit-il.
Pour lui, il faut travailler à l'échelon européen, notamment parce que la législation est européenne avec la "Medical Device Regulation" (MDR). Cette récente régulation, bien qu'elle vise à protéger les consommateurs, pose des défis importants pour le secteur.
"Elle a tué l'innovation wallonne", assène Fabrizio Giannotta. Cette législation "a tellement compliqué l'accès au marché que des sociétés ont décidé d'arrêter la production de certains produits. Et quand elles ont tout de même décidé de poursuivre, cela coûte bien plus cher qu'auparavant. Maintenant, pour obtenir le marquage CE, il faut mener davantage d'études cliniques, passer par un organisme notifié et établir au sein de la société des normes de qualité bien plus exigeantes qu'auparavant." Le développement prend donc aussi plus de temps et pendant ce temps, "on ne vend pas", résume l'expert.
Cette protection "part d'une très bonne intention" mais "quand tu lèves des barrières tellement hautes que tu grèves la compétitivité des entreprises, ça ne va pas non plus".
Le marché européen des technologies médicales pèse 160 milliards d'euros. En Belgique, il se porte à 3,4 milliards d'euros, selon la fédération belge de l'industrie des technologies médicales (qui regroupe plus de 200 entreprises du secteur).