Le service du CETIM du CHU Saint-Pierre chargé de transférer les données concernant le sida vers l’ISP vit une expérience désagréable et pointe du doigt le nouveau système informatique imposé par HealthData.be dans le cadre du Plan eSanté.
L’informatique est censée nous faire gagner du temps et améliorer la communication, mais quand un système inhibe la transmission de données vers l’Institut Scientifique de Santé Publique (ISP), les statistiques s’enlisent et peuvent impacter pour longtemps les décisions politiques…
C’est une désagréable expérience que vit actuellement le service du CETIM du CHU Saint-Pierre chargé de transférer les données concernant le sida vers l’ISP. Comme le précise Marc Delforge, Biostatisticien chargé de ce travail, « notre travail avant la mise en place de e-Health nous permettait de délivrer nos données par courriel sous forme de fichier texte. Toutes ces données étaient anonymisées et doublement encryptées assurant une excellente protection de ce qui était transmis et de manière très stable.»
Il faut savoir que les données transmises des centres de référence sida comme celui du CHU Saint-Pierre sont volumineuses rassemblant plusieurs centaines de milliers de lignes de données.
La vitesse supérieure ?
Ensuite, la volonté des autorités politiques a été de créer une couche supplémentaire pour l’échange de ces données sensibles. « Ce premier changement nous a obligés à passer par une boite électronique spécifique. Nous avons connu alors des difficultés de connexion vers cette boite spécifique en raison de panne technique relativement fréquente. Par ailleurs, l’utilisation même du système est complexe et m’a semblé désuète. Ainsi pour transférer 20 Mb de données, ce qui n’est pas énorme, je devais diviser le fichier en différentes parts, car la boite de réception n’acceptait pas l’envoi de fichiers de plus de 2Mb… », explique l’informaticien. Malgré ces difficultés, il reconnait tout de même que cela fonctionnait relativement bien.
Est survenue alors une troisième phase de développement où le ministère a fait appel à des ressources extérieures et notamment au logiciel HD4DP (Healthdata for Data Providers), approuvé par le comité de pilotage healthdata.be. « Le logiciel est bien présenté. On poste nos données et le système les vérifie automatiquement. Il est censé nous donner un contrôle sur nos données et signaler les erreurs. » C’est là où le bât blesse ! « Technologiquement, nous sommes très rapidement arrivés aux limites fonctionnelles du système. Après 100 chargements de lignes de données, le système devient extrêmement lent. Dans l’urgence, un autre système a été mis en place qui me permet de déposer le fichier sans que j’obtienne de feed-back avant plusieurs semaines. » Dans une quatrième phase, HD4DP semblait être remis sur pied, mais en utilisant le système, il y a eu un mélange entre les données envoyées par HD4DP et les autres, ce qui a encore provoqué un retard et un surcroît de travail.
Plus sûr ?
La question qu’il faut se poser est alors de savoir si ces différentes couches placées entre l’envoyeur et le destinataire a permis de gagner en sécurité. « Non, répond Marc Delforge, les protocoles utilisés précédemment assuraient cette sécurité, nécessaire pour des données très sensibles. » Alors ?
« L’objectif, précise le Pr Stéphane De Wit, est bien de mettre en relation ces données provenant de nos patients avec d’autres données de santé de ces patients comme les hospitalisations dans d’autres institutions, etc., afin d’avoir une cohorte intéressante. Or, actuellement, c’est impossible. Et le fond du problème est que nous ne possédons même plus la même qualité de données qu’auparavant concernant les données VIH. C’est une marche arrière. Et les épidémiologistes de l’ISP n’est ne sont pas responsables de cet état de fait et constitue sont en fait une les victimes de ce nouveau système mis en place. »
De fait, le Dr André Sasse (ISP) l’a constaté lors du BREACH Symposium qui s’est déroulé fin de l’année dernière à Bruxelles. Une note dans le rapport de l’ISP à ce sujet est d’ailleurs claire. « Suite aux changements apportés au système de collecte et de transmission des données, la préparation et l’analyse des données 2016 ont été retardées. En conséquence, plusieurs parties de ce rapport ne présentent que les résultats limités à l’année 2015. […] » Il s’agit des chapitres « Diagnostics de sida » (en partie), « Estimation des personnes vivant avec le VIH », « Les patients en suivi médical », « Continuum de soins des personnes vivant avec le VIH ». (1) (voir aussi la réaction de l’ISP)
C’est d’autant plus frustrant qu’un système de transmission de données est également mis en œuvre pour EUROSIDA, au niveau européen et qu’il fonctionne parfaitement bien avec 48.000 patients alors que pour 12.000, on n’y arrive pas chez nous. Alors, pourquoi ne pas adopter ce système en Belgique ? Le mystère demeure…
1. Épidémiologie du sida et de l’infection à VIH en Belgique 2016
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