Centralisation de la chirurgie de l'œsophage : un groupe d'experts réagit

Lors d'une récente réunion de la medicomut, la Fondation Registre du Cancer avait présenté un rapport sur la centralisation de la chirurgie du pancréas et de l'œsophage. Le Président de l'ASGB/Kartel s'était posé des questions sur l'efficacité de cette démarche en termes d'amélioration de la survie. L’ABES (Audit for Belgian esophageal surgery ) , un groupement de chirurgiens experts pratiquant dans les différents centres belge de référence pour la chirurgie complexe de l’œsophage, a souhaité réagir.

En guise de préambule, l'ABES juge inapproprié de divulguer des informations scientifiques confidentielles en phase d’évaluation et d’analyse avant même qu’elles n’aient pu être examiné par les médecins experts (experts nationaux et internationaux) et qui plus est lorsque ce sceau de confidentialité ôte tous droits de réponse aux personnes impliquées.

" Nous affirmons, par la présente que nous jugeons incorrecte les allégations concernant l’absence d’amélioration des résultats et sommes au regret de constater également que certaines sont fausses, comme l’affirmation qu’un centre de référence du pancréas doive s’arrêter à cause du volume ou que les Pays-Bas reviendraient sur leur démarche de centralisation." Sur la base de quels critères évaluez-vous la qualité de cette convention alors que ses paramètres (hors mis le volume) n’ont malheureusement pas été défini au départ ?

Si on utilise la mortalité comme critère d’évaluation, voilà ce que l’on peut en dire :

La mortalité à 30 jours a en effet diminué de 33 % depuis la centralisation (de 4,2 % dans la période pré-centralisation à 2,8 % depuis la centralisation) et ce malgré une période COVID difficile. Cette diminution est-elle statistiquement significative ? Non, la mortalité postopératoire ajustée à 30 jours a un OR 0,671 IC95% [0,42-1,06], p=0,087.

Selon l'ABES, la signification statistique ne peut être atteinte actuellement, en raison du faible volume d’interventions œsophagiennes en Belgique (faible échantillon) et surtout du peu d'événements (décès après l'intervention) qui de surcroit diminue encore actuellement. Autrement dit, il faudrait opérer un groupe beaucoup plus large (plus grand échantillon) pour démontrer une réduction statistiquement significative.

"Cela ne veut pas dire que les résultats ne sont pas cliniquement pertinents et que la centralisation a échoué. " Le même calcul s'applique pour la mortalité à 90 jours. Ce chiffre a diminué de 25 % depuis la centralisation (de 9,5 % pendant la période pré-centralisation à 7,1 % depuis la centralisation). De nouveau non statistiquement significatif (mortalité ajustée à 90 jours OR 0,765, IC à 95 % [0,57-1,03], p = 0,076) pour les mêmes raisons.

"Nous regrettons qu’aucun indicateurs (autre que le volume) n’ai été clairement défini préalablement à la convention. S'il avait été défini à l'avance qu'une convention ne pourrait être considérée comme réussie qu'avec une réduction de la mortalité à 30 ou 90 jours de 25%, 30%, 35%, 50%... Alors nous aurions pu réfuter dès le départ cet objectif final pour la période prévue."

Moins de 500 interventions œsophagiennes sont réalisées chaque année en Belgique. Dans une étude randomisée parfaitement conçue, une réduction de 33 % de la mortalité à 30 jours (par exemple de 4,2 % à 2,8 % comme actuellement) nécessite un échantillon de 5 408 interventions pour atteindre une signification statistique (α=0,05 et puissance=0,8)... En Belgique cela correspond à plus de 10 ans de chirurgie oesophagienne.

"La qualité de la chirurgie de l'œsophage s'est-elle améliorée en Belgique (car c'était le but de la centralisation) ? Nous estimons unanimement que oui."

Nos chiffres de mortalité ont diminué et se rapprochent de ceux des grandes cohortes internationales comme ceux du groupe d'étude ESODATA avec une mortalité à 30 jours de 2,0% et une mortalité à 90 jours de 4,5%. Cependant, beaucoup de travail et d’efforts doivent encore être accompli.

Grâce à cette convention, il existe un enregistrement prospectif des patients, des choix thérapeutiques, des complications, de la morbidité et de la mortalité. Un enregistrement aussi complet est sans précédent en Belgique. Il s’agit d’un ensemble de données qui sont analysées de manière approfondie, méticuleuse, continue puis discutées et dont la collecte peu, si nécessaire, être adaptée par les membres du Registre belge du cancer.

La convention a permis de créer de nouveaux accords de coopération et des protocoles solides dans les centres experts pour garantir que la prise en charge de ces patients soit la plus optimale possible et sans délai.

La convention a également permis une coopération entre les différents centres d'experts, où les informations sont échangées, analysées et les connaissances partagées.

La création de l’ABES s’est faite dans le but de collaborer, d'améliorer la qualité et de créer des projets de recherche communs, toujours en collaboration avec le registre du cancer et l’INAMI.

" La qualité de la chirurgie de l’œsophage en Belgique peut-elle encore s’améliorer ? Certainement ! "

Avec un enregistrement encore plus approfondi, l’audit des centres, le choix de critères de qualités bien définis au lieu des seuls critères de quantité actuellement choisis, ... Mais surtout avec des analyses de la qualité de vie avant et après la chirurgie, des projets de recherche portant sur les résultats fonctionnels, relationnels, mentaux au lieu des seuls résultats oncologiques ou chirurgicaux. L'inclusion des associations de patients pour faire entendre leur voix, car le patient est le grand absent dans la forme actuelle de cette convention.

Pour conclure, l'ABES estime que même si la qualité de la chirurgie œsophagienne en Belgique était déjà correcte, elle s’est aujourd'hui encore améliorée. Vouloir détruire une convention sur base d’un indicateur qui n'a pas été défini au départ comme étant un critère d’évaluation statistique et à plus forte raison sur un échantillon et une durée ne répondant pas au critère de puissance statistique suffisant pour conclure, en revient à dire que l’on ne veut pas de centralisation en Belgique tout en fermant les yeux sur les résultats.

Lire aussi: Pas d'amélioration significative dans la centralisation de la chirurgie complexe, selon l'ASGB

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