Alors que la saison de la grippe atteint son apogée, la situation dans les services d'urgence devient presque intenable, estime le Dr Ann-Catherine Soenen. Elle dresse un tableau alarmant des failles du système et propose quelques pistes pour y remédier.
Les soins de santé sont malades et au bord de l’explosion. Cela devient douloureusement évident lors de pics comme celui-ci, lorsque la grippe et d’autres virus frappent de plein fouet. Chaque année, le scénario se répète : des salles d’attente surchargées chez les généralistes déjà débordés, des services d’urgence qui explosent sous la pression et des hôpitaux saturés, où les patients doivent attendre des heures pour un lit introuvable. Cette crise ne disparaît pas une fois l’épidémie de grippe passée. Les fissures dans notre système de santé sont flagrantes, et il suffira d’un rien pour que tout s’effondre.
Les chiffres sont implacables : entre 2010 et 2019, le nombre d’admissions aux urgences a augmenté de 23 %. Bien que le vieillissement rapide de la population joue un rôle, il ne suffit pas à expliquer une telle hausse.
Des soins mal orientés
On peut diviser les soins en trois catégories : soins aigus, subaigus et chroniques. Et c’est là que le bât blesse. Les soins chroniques n’ont pas leur place aux urgences ou dans des postes de garde généralistes. Quant aux soins subaigus, ils devraient être programmés à court terme chez un généraliste ou un spécialiste selon la nature du besoin. Pourtant, près de 70 % des consultations aux urgences sont ambulatoires, 23 % débouchent sur une hospitalisation classique et 8 % sur une hospitalisation de jour.
Une culture de l’immédiateté
Une partie importante des consultations ambulatoires aux urgences pourrait probablement être gérée par un généraliste ou dans un poste de garde. Mais en Belgique, chacun peut se rendre librement aux urgences, même pour des raisons non urgentes ou pratiques, comme : “Je travaille lundi, donc je viens aux urgences ce week-end.” Cette tendance est aggravée par une impatience croissante : le rendez-vous médical devient un bien de consommation. “Je paie, donc je veux tout de suite !” Mais ce comportement prend la place de patients ayant un réel besoin urgent, tout en diminuant la qualité des soins.
Et cela a un coût. Les soins aigus, surtout lorsqu’ils servent à gérer des problèmes non urgents, sont particulièrement onéreux. Il est urgent de réorganiser notre système pour qu’il redevienne une machine bien huilée, capable de traiter efficacement le plus grand nombre avec les ressources disponibles.
Repenser les priorités
En 2021, la Belgique comptait 3,2 médecins pour 1 000 habitants, en dessous de la moyenne européenne (3,8). Bien que ce chiffre ait légèrement progressé depuis 2011, il reste insuffisant pour répondre au vieillissement et à la demande croissante de soins. Former de nouveaux médecins prend du temps : neuf ans pour un généraliste, dix à douze ans pour un spécialiste.
Quant aux infirmiers, la Belgique en comptait 11,1 pour 1 000 habitants en 2018, une performance enviable à l’échelle européenne. Mais un rapport du KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) en 2024 souligne que le nombre de patients par infirmier dans les hôpitaux et maisons de repos dépasse les normes internationales.
Des solutions pragmatiques
La première étape ? Renforcer les soins de première ligne. Les généralistes doivent pouvoir se concentrer sur leurs missions essentielles, tandis que d’autres tâches peuvent être confiées à des infirmiers, pharmaciens ou psychologues.
Dans les hôpitaux, les infirmiers passent des heures à remplir des tâches administratives et non médicales, comme distribuer les repas ou transporter les patients. Bien que ces tâches soient partiellement déléguées au personnel logistique, il y a encore des marges de progrès.
Réduire la paperasse, miser sur la prévention
La charge administrative des soignants doit diminuer. Beaucoup de certificats pour les mutuelles sont encore remplis manuellement, une aberration à l’ère numérique. Cette bureaucratie chronophage réduit le temps de contact avec les patients.
Enfin, il faut intensifier la prévention. La vaccination contre la grippe stagne à 50 % dans les groupes à risque, tout comme les dépistages oncologiques pour le cancer du sein et du côlon. En 2021, seulement 1,6 % du budget belge de la santé était consacré à la prévention, loin de la moyenne européenne (2,9 %) et de l’objectif de l’OMS (5 %). Pourtant, chaque euro investi intelligemment en prévention rapporte le double. Prévenir, c’est réduire la nécessité de traitements lourds et coûteux.
Garder la flamme vivante
Travailler dans le secteur des soins reste une vocation passionnante, même en hiver. Mais pour préserver cet enthousiasme, il est impératif d’apporter des améliorations ciblées pour garantir un système de santé viable.
(Texte rédigé à titre personnel.)