Le Big Pharma et les soins de santé : une vision nouvelle à trouver. (D.Winand)

La crise Covid a révélé de manière encore plus évidente les lacunes dans la gestion des soins de santé. Beaucoup étaient connues alors que le politique semble étonné de les découvrir. Les difficultés liées au service infirmier à lui seul est un très bon exemple et conduit au financement hospitalier. De l’autre côté, l’industrie et en tous cas les Big Pharma qui continuent à surfer sur la vague « nous innovons et cette innovation à un prix » et fait face aujourd’hui plus encore -à l’accès de plus en plus compliqué aux médecins (alors que celui-ci reste important pour autant que ce soit une information à valeur ajoutée) et -à une image de marque qui se dégrade. Tout ceci, en n’oubliant pas que les soins prodigués sont excellents et que le Pharma joue un rôle essentiel dans la guérison des maladies.

Quelle peut être la vision (court à moyen terme) raisonnable pour ces deux acteurs? 

Le sujet de cette nouvelle vision est vaste et probablement impossible à écrire en quelques lignes. Mais plus en proposant des pistes et en créant des discussions constructives, sans à priori entre les différents protagonistes.

Voici quelques réflexions.

Nous pouvons tirer un consensus sur le défi le plus important qui rassemble l’ensemble des acteurs de la santé : le financement des soins de santé et y compris des médicaments. Jusqu’où peut-on encore poursuivre le système actuel qui ne peut que s’enfoncer et aller droit dans le mur. Des soins infirmiers en péril, des médicaments innovants dont le prix ne cesse de grimper. Ainsi, en 2024 le budget des médicaments aura augmenté deux fois plus vite que le budget hospitalier, trois fois plus vite que les honoraires des médecins, et six fois plus vite que le salaire des infirmières ! Inutile de dire que tout ceci engendrera obligatoirement des réformes dans les soins de santé, au niveau hospitalier et pharma. La mise en place des réseaux, même si ce n’est pas le but premier, pourra aider à rationnaliser mais aussi et certainement via la forfaitarisation par pathologie qui devrait créer un impact budgétaire positif et simplifier le système. Mais comment dégager de nouveaux moyens, ne fut-ce que pour revaloriser par exemple la fonction infirmier ? Pour le Pharma, une nouvelle gestion des soins demandera obligatoirement des mesures importantes et entre-autre dans le prix et le choix des nouvelles molécules. En effet, à quoi bon, pour le Pharma, développer des nouvelles thérapies si leur valeur ajoutée est limitée et/ou si elles sont impayables ou remboursables uniquement par certains pays/patients et pas par d’autres ? Croire que tout ceci ne pourra se régler que par des taxes est illusoire et n’aborde pas le fonds du problème. Tirer sur le Pharma comme source de tous les maux est, selon moi, une très mauvaise piste qui ne mènera en plus à rien !

Une autre question est liée à l’innovation et à la qualité des soins. A quel prix acceptons-nous la qualité des soins et l’innovation, voire au détriment de quoi ? Ce point renvoie immédiatement au rôle de l’Europe et certainement au niveau d’une harmonisation des prix des médicaments et de la gestion européenne de certains pans de nos sécurités sociales. Le Covid est à cet égard le bon exemple qui a permis (même si la négociation avec les firmes aurait pu à mon sens être plus efficace) d’obtenir rapidement une AMM et un prix identique du vaccin Covid dans chaque pays. 

D’autres pistes peuvent sans nul doute amener à une révision du système de santé. La globalisation des achats hospitaliers, le Pay for performance pour les médicaments, …. mesures qui pourront dégager du budget. Mais à contrario, si l’hôpital à domicile, la digitalisation, …. vont s’imposer, ces nouveautés auront un coût.

Nous sommes sans doute avec cette crise Covid à un virage. Allons-nous le prendre ou allons-nous continuer cette route infernale ? Ceci, sachant que la pandémie et les pandémies seront sans doute toujours présentes. Et aussi des menaces sur notre sécurité sociale équitable. Et si Amazon créait ses propres hôpitaux ou intervenait dans l’hospitalisation à domicile ? Et si les diagnostics passaient par Google ou Apple ? Je crains que sans aborder ces points au niveau européen, aucun pays ne pourra rentrer dans une vision dynamique et avec une sécurité sociale accessible à tous.

Fameux défis mais qui demandent qu’on s’y penche sans tarder et avec efficacité, avec des patients toujours plus mais pas nécessairement mieux informés et avec 9 ministres de la santé.

  • Dominique Winand a mené l’ensemble de sa carrière dans le Big Pharma en Belgique et à l’International et ce, dans de grandes firmes. Dans son livre, Big Pharma Mode d’emploi, anecdotes et connaissances à l’appui, il explique sans tabous comment fonctionne réellement cette industrie pour aider les lecteurs à distinguer le faux du vrai ainsi que les défis auxquels il est confronté.

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