«Le TP obligatoire, pas question» – lettre ouverte à la ministre De Block

Il n’y a pas que les syndicats ou les francophones qui se mobilisent pour signifier à la ministre de tutelle qu’ils désapprouvent l’obligation de tiers-payant. Un généraliste d’Eeklo (Flandre orientale), du bureau du cercle local et de la coupole généraliste Omehak, lui a expédié une missive de protestation, dont la teneur a été discutée avec ses confrères du coin.

Le Dr Piet De Baets parle, à propos de la mesure coercitive, de «camouflet qui ne restera pas sans réponse».

 

«L’échéance du 1er juillet 2015 ne sera pas une tragédie que pour la Grèce. La décision de la ministre De Block d’imposer le recours au tiers-payant à partir de cette date – et son application électronique à partir du 1er octobre prochain – représente pour le corps médical un camouflet qui ne restera pas sans réponse. L’été et l’automne 2015 s’annoncent chauds ! Nous allons en outre devoir encaisser l’obligation d’utiliser le dossier médical électronique suivant des modalités bien spécifiques (sous peine de ne pas être payés), une autre mesure qui devrait entrer en vigueur avant la fin du mandat de la ministre…»

Tels sont les propos du Dr Piet De Baets, généraliste à Eeklo et membre du conseil d’administration du cercle Ledeganck et de la coupole de médecine générale OMEHAK.

Il s’exprime ici en son nom propre, avec l’aval du président de Ledeganck. «Cet avis est toutefois partagé par bien des confrères généralistes de ma région et au-delà», souligne le Dr De Baets, dont la lettre ouverte a fait l’objet d’une concertation avec ses pairs.

Nous en reproduisons l’essentiel ci-dessous.

 

Madame la Ministre,

Chère consœur,

 

Les médecins de notre région ne sont pas particulièrement chauds vis-à-vis du système du tiers-payant, mais il s’agit d’un compromis acceptable pour les patients qui connaissent des difficultés financières. Avec la sensibilité sociale qui est la nôtre, c’est là un service, une faveur que nous accordons volontiers à ceux qui en ont réellement besoin – et, étant extrêmement proches des gens, nous sommes aussi particulièrement bien placés pour juger de cette nécessité et décider qui devrait ou non pouvoir bénéficier de cette mesure.

Penser que tous les bénéficiaires du statut Omnio sont sans ressources et/ou que tous les assurés ordinaires sont en mesure de payer les honoraires du médecin est une grossière erreur. Il y a des assurés Omnio qui baignent dans le luxe tandis que certains patients ordinaires vivent pratiquement dans la misère.

La décision de faire une obligation de ce qui était jusqu’ici une faveur – sous prétexte «d’abaisser ce seuil pour le patient» – est une excuse facile pour faire passer un véritable glissement de pouvoir. Elle n’a en réalité qu’un seul but, qui est de soumettre et de réduire en servitude l’ensemble du corps médical. C’est également un premier pas vers une véritable médecine d’Etat, une médecine de la pire espèce.

Non, Madame De Block, avec nous, cela ne prend pas! Nous n’allons pas nous laisser faire. Nous voulons être traités avec dignité et respect.

 

L’enregistrement électronique du tiers-payant, OK… à condition qu’il ne soit pas obligatoire

La majorité des médecins sont aujourd’hui informatisés et lorsque je vois des confrères d’un certain âge arriver à la maison de repos avec leur portable sous le bras, je me dis qu’ils vivent avec leur temps. En soi, ce n’est pas la facturation électronique aux différentes mutuelles qui pose problème… mais l’imposer, c’est aller trop loin. Et l’obligation de délivrer un accusé de réception pour un montant d’un euro est ni plus ni moins qu’une humiliation!

En outre, en dépit des formidables efforts des techniciens qui s’affairent fébrilement à l’adapter, votre système n’est pas encore au point. A mon sens, votre ‘tolérance jusqu’au 1er octobre’ est surtout une excuse pour masquer le fait que l’outil n’est pas prêt sur le plan technique. N’eût-il pas mieux valu prévoir une concertation préalable et un tour d’essai?

 

Simplification administrative?

Le tiers-payant électronique représente peut-être une simplification administrative pour vos services, mais ce n’est pas du tout le cas pour nous! La préparation de la facturation électronique aux différentes mutuelles et la rédaction de l’accusé de réception d’un euro prennent trop de temps, et ce au détriment du patient. En fait de simplification, nous remarquons surtout qu’on nous impose sans cesse de nouvelles règles, de nouvelles exigences, avec à la clé des confrères âgés qui décrochent, des burn-outs et même des suicides. Dans notre région, deux confrères ont récemment mis fin à leurs jours. Vous portez une lourde responsabilité dans la mise au point des aspects administratifs du tiers-payant obligatoire et dans ses conséquences pour la charge administrative des généralistes.

 

Le DMI n’est pas un problème… mais l’obligation et (surtout) les modalités vont trop loin

Un peu partout en Flandre, les médecins sont en train de charger des SumEHR dans le système. Nous faisons plus que notre possible! Il est toutefois apparu récemment que tous ces efforts ne sont apparemment qu’un coup dans l’eau et qu’un système complètement différent est en préparation (‘régulite’ européenne oblige!!!), ce qui signifie que nous allons tout devoir reprendre à zéro. Même cela, passionnés comme nous le sommes par notre métier, nous sommes prêts à l’accepter. Mais l’obligation? JAMAIS!

L’obligation de respecter certaines modalités bien précises pour la tenue du DMI (comprenez, l’absence de paiement si nous ne structurons pas ‘correctement’ nos données) est un autre point qui nous donne des boutons. […]

 

Pétition

Nous ne pouvons que saluer votre détermination à assainir, à améliorer et à accroître la transparence du système de santé belge. Néanmoins, chère consœur, nous nous opposons aux trois obligations susmentionnées, tout en ayant bien conscience que l’agenda caché de certains conseillers et instances consultatives nous réservent encore quelques surprises dans l’hypothèse où nous accepterions ce qui se trouve déjà sur la table.

Une pétition nationale a d’ores et déjà été lancée en collaboration avec l’ABSyM, et le SVH vient de confirmer qu’il soutenait cette action autour du tiers-payant obligatoire.

Le soutien massif apporté à l’initiative (qui court encore jusqu’au 28 juin) démontre en tout cas clairement que le corps médical n’a pas l’intention de se laisser forcer la main.

 

Une dimension belge

J’ai déjà reçu de nombreux messages de confrères et consœurs concernant le dossier du tiers-payant obligatoire. J’en retiendrai simplement ces quelques lignes qui m’ont été adressées par un confrère francophone, et qui témoignent que ce dossier a bien une dimension nationale: «Je ne comprends pas pour quelle raison médicale vous obligez le tiers-payant. Laissez-nous s’il vous plaît, la liberté de choisir pour quel patient ’BIM’ nous l’appliquons. Vous avez vous-même travaillé sur le terrain et vous savez bien que ’BIM’ ne signifie pas obligatoirement difficultés financières. Surcharger les médecins généralistes ne résoudra en rien le burn-out palpable chez beaucoup de confrères et ne diminuera sûrement pas le taux anormalement élevé de suicides chez les médecins. Il en va de votre crédibilité

 

Veuillez agréer, Madame la Ministre, chère consœur, l’expression de notre considération et nos salutations les plus collégiales,

Dr Piet De Baets, généraliste à Eeklo

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