Le 1er janvier marque, chez nos voisins français, une étape dans le déploiement du tiers payant tel que prévu par la Loi Santé: futures mères et patients chroniques peuvent réclamer une non-avance de frais. Les syndicats médicaux continuent à critiquer; une récente thèse, certes à petite échelle, révèle une réalité de terrain contrastée.
Depuis le 1er du mois, en vertu de la Loi Santé, le tiers payant (TP) est devenu un droit pour les patients français en «ALD» (affection de longue durée) et les femmes enceintes. Ces publics, qui d’après la presse hexagonale représentent 11 millions de citoyens, sont dispensés d’avance de frais chez le MG sur la part prise en charge par l'assurance maladie (par opposition à la part prise en charge par les complémentaires, ou «part mutuelle», pour laquelle le médecin peut – mais ne doit pas – travailler en TP). Au 1er novembre 2017, la dispense d’avance de frais (toujours sur la part assurée par la Sécu) sera étendue au reste de la population.
Les syndicats médicaux français ont longuement protesté contre la généralisation du TP durant la gestation de la loi de Marisol Touraine, ministre de la Santé. Encore aujourd’hui, ils manifestent leur opposition. MG France, par exemple, estime non remplies les conditions indispensables à la réalisation du tiers payant dont, pour le médecin, la garantie de paiement. Le syndicat vient de recommander à ses troupes de boycotter la part optionnelle, donc le TP avec les régimes complémentaires, «en raison de sa complexité (multiplicité des régimes, des contrats et des intervenants)». Quant à la CSMF (MG et spécialistes libéraux), elle a toujours été hostile au dispositif, e.a. par crainte des retards de paiement. Elle lui préfère un TP social laissé à l’appréciation des médecins. Plus radicale, elle invite donc ceux-ci à n’utiliser le TP que lorsqu’eux-mêmes le jugent nécessaire, au vu de la situation financière du patient. Le gouvernement semble de toute façon n’avoir pas prévu de sanctions à l’égard des médecins indociles – quoique leurs représentants se méfient: il n’est pas impensable qu’une association de patients se saisisse d’un refus pour introduire une action.
D’initiative, aussi pour éviter les impayés
Pour alimenter le débat, le journal La Croix évoque, dans son édition du 2/1, les récents travaux d’une généraliste doctorante à propos des habitudes de quelque 200 de ses confrères de la région Midi-Pyrénées en matière de TP. Adeline Liquière, qui a soutenu sa thèse en juin à l’université de Toulouse, a en effet constaté que les MG locaux appliquaient déjà largement le tiers payant, voire «plus qu’il ne faut» (avant son extension ce 1er janvier, il concernait déjà les patients à faibles ressources, bénéficiaires de la couverture médicale universelle (CMU) ou de l’aide médicale d’État). La jeune MG a établi que plus de neuf médecins sur dix pratiquent le tiers payant en dehors des cas obligatoires. Les actes réalisés en TP représentent 32% des actes et profitent essentiellement aux patients chroniques (88%) et à ceux qui, sans être éligibles à la CMU, se trouvent en difficulté financière (72%).
Il s’agit donc, de la part de ces MG du Midi-Pyrénées, d’une démarche spontanée. La chercheuse a cerné leurs motivations, à la fois sociales et pécuniaires: «Ils le font principalement pour faciliter l’accès aux soins aux patients les plus défavorisés, aux patients âgés, aux patients vivant en institution ou aux familles nombreuses. Mais aussi parce que cela leur permet d’alléger leurs tâches administratives et comptables, ainsi ils ont moins de chèques et de sommes en espèces à encaisser ou à conserver au cabinet, et de diminuer le risque d’impayé en évitant les chèques sans provision par exemple.» En outre, une partie des sondés ont signalé que la non-avance de frais améliorait leur relation avec leurs patients en en gommant la dimension commerciale.
Le revers de la médaille, c’est le temps qu’ils doivent passer à s’assurer d’avoir été honorés par les caisses maladie: «La principale difficulté évoquée est la perte de temps liée à la vérification des remboursements (1 heure et 21 minutes hebdomadaires)». Il faut toutefois relativiser, observe la chercheuse, car tous les MG ne vérifient pas systématiquement tous les remboursements – «32 % ne les contrôlent jamais» – ou délèguent la corvée. 80 % des participants admettent une perte de revenus, faute de versement de sommes qui leur sont dues, dont ils semblent s’accommoder d’ailleurs. Cette perte est estimée à 187 euros mensuels en moyenne.
Est-ce à dire que ces MG français, adeptes «volontaristes» du TP, ne comptent pas parmi les opposants à sa généralisation obligatoire? «75% pensent que celle-ci aura des conséquences négatives sur leur profession», corrige Adeline Liquière. Les griefs principaux d’une systématisation de la non-avance de frais sont: l’augmentation du temps consacré aux tâches administratives au détriment de celui dédié aux patients, un glissement de leur statut de professionnel libéral vers une fonctionnarisation et la perte de considération de leur travail, qui apparaît comme gratuit – donc dépourvu de valeur.