Des voix s’élèvent de plus en plus dans les hôpitaux et les cabinets contre la concentration entre les mains de quelques sociétés du marché des logiciels médicaux. Au coeur de la contestation, notamment la société belgo-néerlandaise Corilus qui vient de racheter son concurrent wallon Epicure. Le Collège de médecine générale a récemment dénoncé une situation tendant vers un monopole. « Le renforcement de position dominante a culminé avec le rachat du DMI Epicure (de MédicalSoft), présenté comme une « fusion » aux 1.500 médecins usagers du logiciel. Par ailleurs, MedicalSoft SPRL équipe au moyen du logiciel Mediposte 75 % des postes médicaux de garde en Wallonie. »
Dans ce contexte, plusieurs généralistes ont appelé au développement d’un logiciel de gestion des dossiers médicaux informatisés indépendant des grands groupes . “Nous n’allons pas créer nous-mêmes cet outil, mais nous allons le commercialiser”, explique à la Libre Belgique le Dr Tanguy de Thier, généraliste à Ciney. Au départ pour les généralistes, il sera également développé pour les spécialistes et les paramédicaux (kinés, infirmières,…).Une coopérative a été créée avec un budget de 250.000 euros. Leur objectif, à terme, est de permettre notamment aux 1. 500 médecins généralistes qui possédaient Epicure d’utiliser ce nouveau logiciel lorsqu’il sera abandonné à la fin de l'année.
Pas de monopole aujourd’hui
Cette nouvelle initiative est-elle réaliste et viable ? Franck Ponsaert, porte parole de l'association des logiciels médicaux (BeMeSo) la replace dans son contexte : « C'est une réaction contre le monopole mais , comme nous l’avions déjà déclaré, il ne faut pas oublier que Corilus n'a que 50% du marché. Il y a cinq autres sociétés et deux autres grandes sociétés qui travaillent notamment à l'international. Il n'y a donc pas de monopole à ce stade. » Pour lui, cette démarche de création d'un nouveau logiciel est positive « mais compliquée parce qu'il y a des exigences de plus en plus normées en e-santé. Ces développements ne sont pas payés par l'inami et le gouvernement ». Pour BeMeSo, cet acteur supplémentaire pourrait rencontrer des difficultés : « Dire qu'ils vont être prêt pour la fin de l'année, y compris pour l'homologation, cela paraît très difficile dans les délais. » Franck Ponsaert s’interroge aussi sur le budget : « 250.000 euros, ce n'est pas beaucoup pour bien développer un tel projet. »
Un logiciel open-source
De son côté, Sebastien Jodogne, CIO d'Osimis et auteur du logiciel Ortanc , réfléchit au développement d’un logiciel en “open-source” pour les médecins. « Sur le terrain, aujourd’hui, beaucoup d’acteurs développent des dispositifs médicaux mais les connexions entre eux, sans standard commun, vont compliquer le travail des médecins. » Dans ce contexte, pour lui, un logiciel open-source serait une solution : « On peut parfaitement faire un programme avec 250.000 euros si on fixe de bons objectifs et des bonnes interopérabilités avec les systèmes existants. »
Mais pour lui, la priorité pour le secteur, se situe ailleurs : « Il faut surtout améliorer , dans tous les projets, le dialogue entre les médecins et les informaticiens e l'on aura des produits plus adaptés. Les synergies à ce niveau doivent être poussées par les pouvoirs publics d'ailleurs. »
Soutenir l’open-source mais...
Dans ce dossier, Jacques de Toeuf, président du comité de gestion de la plateforme eHealth, est conscient que la place que prend Corilus rend les médecins méfiants : « Ils craignent un monopole et ils sont fâchés sur la concentration du marché. La situation est plus compliquée encore pour les spécialistes qui ont « des données patient » dans différents hôpitaux et qui n’ont pas toujours les mêmes supports. »
Le développement, pour lui, de projets “open-source” est une suite logique. « Franck Robben s'est rendu compte que les patients et le monde médical ont des difficultés avec certains systèmes. Le développement d'open-source va simplifier les accès et les compatibilités pour certains programmes. L'open-source n'est cependant pas non plus la panacée. »
Enfin, pour lui, la question du financement reste au cœur du débat : « Je pense que 250.000 euros, cela ne suffit pas pour permettre le développement d’un logiciel qui pourrait être utilisé par tous les spécialistes. Avec une telle somme, on peut commencer le développement d’un projet-pilote pour les médecins généralistes. »
Des contrats d'un an
De nombreuses questions restent donc en suspend. Dans le contexte mouvant que connaît actuellement le marché des DMI, le Collège de Médecine Générale ne peut que conseiller aux médecins généralistes « de se montrer particulièrement attentifs aux contrats qu’ils signent avec des fournisseurs de logiciels. Il leur est vivement recommandé de refuser de s’engager dans des contrats d’une durée excédant un an. » Un conseil clair.
> Le débat continue sur @medispherehebdo
— ABSyM (@absymtweets) 7 mars 2018
Il suffirait que les associations de médecins, les mutualités et le gouvernement mobilisent un financement pour que la communauté du logiciel libre et open-source puisse proposer des alternatives mutualisées et interopérables grâce au Réseau Santé Wallon. https://t.co/OC8OqtBdaI
— Sébastien Jodogne (@sjodogne) 8 mars 2018
L’investissement de départ est tel que le pouvoir de décision du développement appartiendrait au gouvernement et aux mutuelles.
— David SIMON (@Freedoc_be) 15 mars 2018
Avant de discuter des modes de financement, il faut d'abord se poser la question du montant nécessaire à un tel développement. Et pour cela, il faudrait avant tout disposer d'un cahier des charges établi par une autorité médicale.
— Sébastien Jodogne (@sjodogne) 15 mars 2018
A la grosse louche trois informaticiens à plein temps pendant deux ans soit 1.000.000 € avant de voir la première version beta.
— David SIMON (@Freedoc_be) 23 mars 2018
Il y a des problèmes dans vos chiffres. Demandez une estimation de budget dans le cadre de programmes DGO6, et mettez en place une méthodologie de développement agile.
— Sébastien Jodogne (@sjodogne) 24 mars 2018
Ortanc est une très belle réalisation, la récompense est méritée. Quelle fut la durée du développement avant la mise en production ?
— David SIMON (@Freedoc_be) 24 mars 2018
Merci. La première version a été publiée après 8 mois de développement à un tiers-temps.
— Sébastien Jodogne (@sjodogne) 24 mars 2018
Derniers commentaires
Philippe TASSART
27 mars 2018Mobiliser 50.000 médecins est utopique. Une autre solution serait de proposer à un maximum de médecins motivés d'avancer des sommes plus conséquentes que 20 euros et de les rembourser sans intérêt une fois le programme écrit et vendu aux très nombreux médecins qui n'attendent que cela pour s'engager avec un programme aux seules mains de médecins. Corilus touche par médecin des sommes annuelles avoisinant souvent les 2.000 euros. Le prix réel d'une maintenance ne coûte pas cela. Corilus fait de l'argent. La coopérative de médecins n'aura pas elle cette obligation. Imaginez cette société forte ne fusse que de 1.000 médecins, payant chaque année 1.000 euros. De quoi payer 7 informaticiens à plein temps ! Et si 2.000 médecins s'engagent, voire 3.000 ? Ce n'est absolument pas utopique.
Abdel LABIDI
27 mars 2018Entre généralistes et spécialistes il y'a 50 mille médecins dans le pays . Si chaque médecin participe avec 20 euros on aura au total de un million d'euros pour developer un logiciel fantastique qui forcera toutes les tiques actuelles à regagner la poubelle. Mais est ce que ces 50 milles médecins sont conscients de leur pouvoir?