Face à des difficultés d’allaitement, des pleurs, des coliques, du reflux gastro-œsophagien, un « mauvais » sommeil …, certains professionnels présentent aux parents, comme solution à tous les problèmes de leur bébé, une intervention chirurgicale consistant à couper le frein de la langue. L’ONE attire l’attention de tous les professionnels de la petite enfance sur les répercussions de cette nouvelle tendance de frénectomies abusives.
Dans de rares cas, le frein de langue est dit « restrictif », c’est-à-dire qu’il entraîne une limitation des mouvements de la langue (ankyloglossie). Il s’agit d’un diagnostic plus fonctionnel qu’anatomique.
Ainsi, 4 à 10 % des nourrissons naissent avec, anatomiquement, un frein lingual restrictif (frein très épais et / ou antérieur…).
Mais c’est seulement chez 2 % d’entre eux (donc chez 0,8 à 2 nouveau-nés sur 1 000) que ce frein peut entrainer des difficultés d’allaitement et justifier une frénectomie. Elle est parfois réalisée au cours du séjour à la maternité par les pédiatres.
Depuis quelques années, on assiste à une augmentation exponentielle du nombre de frénectomies, non seulement linguales, mais également labiales et jugales (freins de lèvre supérieur et « freins de joue »…).
Ces derniers mois les demandes d’intervention (rééducation logopédique, demandes d’intervention chez les ORL, les stomatologues, les dentistes …) ont largement augmenté.
En 2020, l’INAMI a recensé le double d’opérations de frénectomie réalisées chez des enfants de moins de 2 ans, par rapport aux chiffres de 2019.
L’ensemble de ces interventions peut avoir des répercussions graves chez le nourrisson. Cette pratique intrusive dans la bouche des bébés peut être source de troubles de l’oralité.
Ainsi on a pu observer, suite aux douleurs lors de la frénectomie et après celle-ci, à l’expérience négative qui peut en résulter, des interruptions brutales de l’allaitement ainsi que l’apparition de troubles alimentaires importants avec des répercussions sur la croissance.
Sont également décrites des infections nécessitant parfois une hospitalisation, des apnées obstructives pendant le sommeil, des hémorragies… Ou à tout le moins une non amélioration des troubles observés qui ont mené à ce traitement ainsi que des reports de la vaccination.
Enfin, il arrive régulièrement que le frein en cicatrisant se reforme, parfois plus fibreux, plus épais formant une « bride cicatricielle ».
Ces interventions coûtent de 350 euros à 1000 euros, en majeure partie non remboursées par les mutuelles. S’y ajoutent les frais liés aux complications.
Position de l’ONE
L’ONE attire l’attention de tous les professionnels de la petite enfance et de tous les parents sur les répercussions de cette nouvelle tendance de frénectomies abusives.
Si la frénectomie en présence de frein de langue restrictif peut, parfois, être un moyen pour améliorer l’allaitement maternel, la décision d’instaurer ce traitement exige un haut niveau de compétence clinique, de jugement et de discernement, ainsi qu’un avis multidisciplinaire.
Ce phénomène ayant pris une ampleur remarquable et suite aux nombreux appels de parents et de professionnels de terrain, le Collège des conseillers pédiatres et sages-femmes de l’ONE a réuni un groupe de travail multidisciplinaire qui a analysé la littérature et auditionné des experts.
Ce groupe de travail est arrivé à la conclusion que dans l’état actuel des connaissances, il n’existe ni critère/protocole consensuel bien défini, ni evidence-based practice pour diagnostiquer un (ou des) frein(s) restrictifs et déterminer les indications chirurgicales qui y sont liées.
La recherche scientifique doit encore se positionner sur la définition du frein de langue et de ses aspects fonctionnels, le degré d’incision requis, le mode d’intervention, les soins postopératoires et l’évaluation du suivi des complications immédiates et à long terme. Les zones d’ombres de la littérature scientifique doivent être mises en exergue.
En outre, la littérature médicale et les avis d’experts multidisciplinaires (ORL, consultantes en lactation, stomatologues, orthodontistes, kinésithérapeutes, logopèdes, ostéopathes …) convergent vers un excès d’interventions et un besoin urgent de recommandations au niveau de la prise de décision (notamment les indications chirurgicales), des implications cliniques (massages, anesthésie, matériel, suivi nécessaire…) et des compétences requises.
Enfin, de nombreuses formations sur les freins de langue sont assurées sans contrôle sur le contenu (notamment les fondements scientifiques) ni sur les compétences des dispensateurs et sont largement ouvertes à divers professionnels, même non-médicaux.
L'ONE recommande une réglementation au niveau fédéral. Un trajet de soins correct multidisciplinaire basé sur des recommandations scientifiques fiables doit être établi. Le médecin traitant et le pédiatre, dont le rôle est de vérifier la globalité de la santé et du développement de l’enfant, doivent faire partie de l’équipe pluridisciplinaire. De plus , pour l'ONE il est indispensable de mettre en place des formations actualisées et validées sur la thématique, à l’attention des professionnels de la petite enfance et que les parents et le public soient correctement informés.