Sophie Maes est pédopsychiatre. Elle dirige l'unité pour adolescents au centre hospitalier psychiatrique Le Domaine, à Braine-l'Alleud. Elle tire le signal d’alarme: une vague de décompensation psychique inédite frappe les 13-25 ans, que ne peuvent absorber les unités spécialisées, à saturation.
Sophie Maes, qui s’efforce de sensibiliser les ministres compétents à la problématique, a initié un recensement auprès de ses homologues des autres structures hospitalières. Des premiers retours reçus, elle déduit que «toutes les unités de pédopsychiatrie sont saturées - la Belgique compte 911 lits K au total - et en sont réduites à fonctionner sur liste d'attente, alors même qu’on vit une déferlante de problèmes de santé mentale chez les jeunes.»
Elle dépeint la situation au Domaine : depuis un mois, le service n’est plus en mesure de répondre aux nouvelles demandes qui affluent. «Tous les lits sont occupés. On a une salle de 15 places et autant de jeunes dont l’hospitalisation devra attendre, quand bien même on parle de profils cliniques inquiétants. Le plus souvent, ce sont des professionnels de santé qui nous adressent les patients. Avant, on nous envoyait surtout des jeunes avec des idées suicidaires. A présent, ce sont des jeunes avec des passages à l’acte, parfois jusqu’à 5 fois. Les durées moyennes de séjour étant longues, de 1 à 3 mois, le délai avant d’être admis le sera malheureusement aussi…» D’après elle, les services ambulatoires de santé mentale ne tarderont pas à être réduits, eux aussi, à ouvrir des listes d’attente.
Pour cette spécialiste, le secteur hospitalier pédopsychiatrique est chroniquement en tension, même s’il connait une occupation fluctuante avec une forte saisonnalité qui fait que, «lissés sur un an, les chiffres n’alarment pas les décideurs», dit-elle. Et d’ajouter que la possibilité théorique de développer de nouvelles places résidentielles est contrée par un moratoire à durée non définie.
De la prévention de masse
Vu l’actuelle saturation et la nécessité d’équipes extrêmement spécialisées pour traiter les situations cliniques lourdes rencontrées (décompensations suicidaires, psychotiques, anxieuses, troubles alimentaires soudains et massifs…), «la situation ne va pas à notre niveau se résoudre en deux coups de cuillère à pot», prédit le Dr Maes. Elle préconise, pour endiguer quelque peu le phénomène, que l’on mette urgemment en place des mesures favorables à la santé mentale au sein des écoles. «C’est leur demander un nouvel effort, c’est vrai, alors que ce n’est pas leur job la santé mentale, mais il faut faire quelque chose.»
La pédopsychiatre recommande l’organisation de «groupes de parole pour faire de la prévention de masse, organisés avec l’appui d’autres intervenants que les enseignants, comme les centres PMS, les plannings familiaux…», mesures assorties d’initiatives pour rendre à l’école son rôle de support à la socialisation des ados, alors même que le confinement a conduit à la perte de la relation aux autres. «Je connais des établissements qui ont imaginé des journées de détente, des spectacles de jeunes, des repas en commun… Je suis sûre qu’il y a moyen de faire du ‘bricolage intelligent’ pour retrouver une meilleure socialisation.»
Le Dr Maes suggère d’autre part que l’on «fasse baisser la pression scolaire, qui s’exerce parce que certains professeurs font le forcing pour que le programme soit vu coûte que coûte alors que l’on est objectivement dans de bien moins bonnes conditions d’apprentissage. Les jeunes reçoivent moins de soutien, aussi affectif, ils perdent tout plaisir d'aller à l'école car en présentiel, ils sont bombardés d'interros. La pression scolaire intervient pour un tiers dans les décompensations».