«Ces résultats ne constituent pas une grande surprise, au vu de la violence ambiante. Le phénomène est loin de ne toucher que les médecins. C’est regrettable, bien sûr, mais ils sont victimes d’une évolution à l’œuvre dans d’autres sphères de la société.
Il est exacerbé, estime Paul De Munck, le président du GBO, par le côté «tout, tout de suite» de notre époque. «Face à son médecin, le patient estime qu’il ‘a droit’ – droit à une prescription d’antibiotiques, droit à un certificat… Il ne comprend pas pourquoi il n’en recevrait pas.»
Selon le syndicaliste, il serait intéressant d’analyser l’origine de l’agressivité croissante dans le vivre-ensemble, plutôt que de juste constater son aggravation. «J’acte les résultats de votre enquête mais il aurait été intéressant de ‘creuser’ pour tenter de cerner les circonstances qui ‘libèrent’ l’agressivité, les profils de patients risquant de se montrer les plus violents… Cet approfondissement renverrait, vraisemblablement, à des considérations socioéconomiques, de niveau d’éducation, d’état psychique et de médicalisation de l’angoisse…»
Avec ces précisions complémentaires, on pourrait alors discuter de moyens de mieux prévenir l’agressivité qui jaillit à l’interface patients/soignants, y compris en agissant au niveau de l’organisation des soins si jamais elle apparaît comme un facteur déclenchant – impossible de ne pas songer, ici, au long temps d’attente avant un contact par exemple.
Pour le Dr De Munck, les variations révélées par l’enquête entre le nord et le sud du pays «doivent aussi, fort probablement, s’analyser avec des lunettes sociologiques». Et pas uniquement les scores sur l’agressivité. A voir l’écart entre médecins flamands et francophones quant à l’assertivité des patients, il se demande si le terme a été compris partout de la même façon. Une piste d’explication pourrait néanmoins être l’existence d’une littératie en santé plus haute en Flandre.
«Un retour à la tolérance zéro dans la nouvelle génération»
Philippe Devos, nouveau président de l’Absym, et Jérôme Lechien, à la tête du Cimacs (le comité interuniversitaire des assistants candidats spécialistes), ont repéré que le ressenti d’agressivité en hausse culminait chez les spécialistes.
L’anesthésiste pointe un problème de perception de la part des premiers intéressés: «Les soignants ont tendance à penser que l’agressivité qu’ils essuient, c’est la normalité». Il évoque des études dans des hôpitaux liégeois montrant que, pour une bonne part du personnel, la violence verbale doit dégénérer jusqu’à quelque chose de physique avant qu’ils jugent nécessaire de recadrer le patient. Mais il sent que «dans la jeune génération, d’infirmiers mais aussi de médecins, les choses changent. On retrouve une attente de respect, il y a comme un retour à une tolérance zéro face aux mots et aux gestes agressifs».
Le Dr Devos est favorable à l’enseignement de techniques de communication éprouvées qui permettent de désamorcer l’animosité, d’alléger les tensions.
Pour Jérôme Lechien, plusieurs facteurs s’entremêlent pour nourrir l’agressivité des patients, dont un problème d’accessibilité aux soins et de dégradation de leur qualité, par pression sur les conditions de travail. «Vous avez des patients anxieux, énervés, qui ont attendu des semaines pour un rendez-vous et qui au final sentent le traitement hors de leur portée, financièrement.» En outre, «dans certains hôpitaux, les médecins ont 15 minutes, voire 10, par consultation. Impossible de faire de la médecine humaine et correcte. Cela engendre deux frustrations: l’une chez le patient, qui ressent bien le côté expéditif, et l’autre chez le médecin, frustré de ne pas pouvoir faire de la bonne médecine. L’agressivité est une manifestation secondaire de l’altération de la qualité des soins. C’est le système, qu’il faudrait revoir».
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