En juin dernier, l’Ordre des médecins instituait un point de contact national pour la notification, par les médecins, de faits de violence subis dans l’exercice de leur métier. Notre journal a pu jeter un œil sur un récapitulatif (dûment anonymisé) des signalements introduits. Leur nombre est révélateur: il y en a une vingtaine, déjà, depuis l’ouverture du service. Dans l’écrasante majorité des cas, les victimes sont des médecins généralistes.
Entre la création de son formulaire de contact et le début de semaine, l’Ordre a réceptionné 20 notifications d’agression, dont 19 émanent de généralistes (contre un spécialiste hospitalier). C’est un «succès» dont la communauté médicale se passerait bien - surtout si l’on considère que le point de contact ordinal, tout récent, commence seulement à gagner en notoriété et que les médecins ne sont pas toujours enclins à partager ce qui leur est arrivé. Ce volume d’affaires rapportées est donc en toute vraisemblance une sous-estimation de la réalité.
Qu’à cela ne tienne, c’est un ordre de grandeur qui tombe alors que la médecine générale vient d’être ébranlée, une énième fois, par l’attaque brutale d’un des siens, dans son cabinet de Forest, par un patient au passé psychiatrique (lire par ailleurs sur notre site), et ce, quelques mois à peine après le décès du généraliste flamand Patrick Roelandt, poignardé lors d’une visite à domicile. Il tombe aussi alors que devraient reprendre incessamment les réunions visant à améliorer la sécurité des prestataires de soins, sous l’égide du SPF Intérieur. Le Pr Michel Deneyer, vice-président néerlandophone de l’Ordre des médecins, ne cache pas son intention de sensibiliser le ministre Jambon à l’ampleur du phénomène. Ni de continuer à collecter les témoignages (*), d’autant que le point de contact est désormais bien mis en évidence sur la page d’accueil du site www.ordomedic.be et que le formulaire est devenu réellement interactif.
Les grandes tendances
Si l’actuel échantillon est trop réduit pour dresser une typologie ferme des assauts d’agressivité que les médecins essuient, les 20 cas laissent néanmoins poindre quelques grandes tendances. Sur les 19 agressions de médecins généralistes (MG) recensées, deux ont été perpétrées alors que l’intéressé officiait en tant que médecin-contrôleur. Parmi les autres victimes, on dénombre deux tiers de MG exerçant en solo contre un tiers pratiquant en groupe. C’est majoritairement dans le cabinet de consultation voire parfois à l’entrée de celui-ci que les faits se produisent (10 fois sur 19); il y a eu cinq cas de violence intervenant au domicile du patient et quatre s’exprimant par téléphone.
Ce qui nous amène aux formes que revêtent ces accès d’animosité: les violences verbales et psychologiques dominent, représentant les deux tiers des incidents. Mais pour le tiers restant, on parle bien d’atteintes physiques. Si les suites de ces faits sont majoritairement inconnues de l’Ordre, on repère dans ses tableaux six à sept affaires ayant entraîné dommages émotionnels, dégâts matériels et/ou traumatismes corporels, dont un cas où le pronostic vital a été engagé.
Parmi les auteurs des violences, les patients connus du médecin victime le disputent aux parfaits inconnus (respectivement sept cas contre huit); dans les autres affaires, l’auteur n’était pas le patient lui-même mais un tiers. Ces agresseurs ont-ils des antécédents psychiatriques? L’Ordre n’en sait rien la plupart du temps, mais dans deux dossiers toutefois, c’est ce qui lui a été rapporté.
Qu’est-ce qui pousse les patients à s’en prendre à celle ou celui qui les soigne? Les «catalyseurs» mentionnés via le formulaire de l’Ordre sont variés. Arrivent clairement en tête les contestations autour d’une incapacité de travail, suivies de plus loin par des refus de prescription et des désaccords avec un contrôle ou une décision du médecin. Mais des victimes ont aussi relaté que c’est une «frustration» chez le patient ou une interdiction de fumer (!) qui avait mis le feu aux poudres. Comme déclencheurs des attaques physiques reviennent notamment - outre l’éventuel passé psychiatrique - le manque d’argent, le fait d’être sous influence et celui de se voir refuser une ordonnance.
(*) A noter que le point de contact «agressions» fait partie d’un projet de plus grande envergure, appelé ‘Médecins en difficulté’, à propos duquel l’Ordre des médecins communiquera bientôt et sur lequel Medi-Sphere (journal frère du Spécialiste) lèvera une partie du voile dans son édition du 29 septembre. Pour faire bref, le Conseil national souhaite, en marge de ses activités disciplinaires, apporter son soutien aux confrères qui rencontrent différents types de situations délicates, la violence donc, mais aussi l’addiction, le burn out ou une plainte en justice.