À l’occasion d’une journée d’étude très fréquentée sur «La déontologie médicale aujourd’hui», Coralie Herijgers (1) s’est attachée à analyser le tout nouveau Compendium de l'Ordre des médecins qui accompagne la dernière version révisée du code de déontologie médicale. Verdict de la chercheuse, qui achève actuellement une thèse de doctorat sur la question? Pour louable qu’elle soit, cette publication comporte encore une large marge d’amélioration.
Commençons par la bonne nouvelle: Coralie Herijgers juge très positif le principe nouvellement ancré dans le texte qui veut que le patient noue un partenariat avec le médecin sur la base d’informations transparentes. En cas de problème, ceci se traduit par quatre points: le patient doit savoir ce qui s’est passé, quelles sont les conséquences pour lui et comment cette situation peut être évitée aux autres patients… mais il est également important que le médecin exprime ses regrets, à la fois pour limiter le risque de demande d’indemnisation et pour faciliter l’assimilation de l’incident. Il n’est donc plus question exclusivement de droits et de devoirs, mais aussi du lien relationnel entre le médecin et son patient.
Points d’attention
L’élaboration de la nouvelle version du code n’a pas donné lieu à une consultation publique préalable et la société n’a donc pas eu la possibilité de s’exprimer. Pourquoi, au fond, ne pas impliquer les patients et modifier la composition de l’Ordre? «Au Royaume-Uni, il se compose pour 50 % de médecins et pour 50 % de patients ou d’autres non-médecins possédant une certaine expertise», a observé Coralie Herijgers.
Le nouveau Compendium ne reprend pas non plus de jurisprudence disciplinaire, contrairement à ce que l’on observe dans les pays voisins, où celle-ci est librement consultable.
On peut encore formuler quelques critiques plus ciblées sur des articles spécifiques:
L’art. 9 concerne la transparence dont le médecin fait preuve vis-à-vis du malade (disposition de divulgation). S’il s’agit évidemment d’un point positif en soi, il convient de rappeler que, lorsqu’il est question de faire preuve d’ouverture, les médecins se heurtent encore souvent à l’opposition des assureurs et ne sont guère soutenus non plus par les hôpitaux. Sur ce point, c’est la culture hospitalière qui doit évoluer.
L’art 10 souligne que la santé du médecin lui-même est capitale. Le Compendium semble toutefois en faire un devoir déontologique. Cet aspect ne devrait-il pas plutôt être un objectif éthique ?
L’art 11 concerne la collégialité, qui suppose que tous les professionnels des soins soient placés sur un pied d’égalité. La relation hiérarchique entre le médecin et les autres prestataires devrait, souligne Coralie Herijgers, céder la place au respect non seulement de l’expertise, mais plus globalement de la personne.
L’art 23 concerne le dossier du patient, que le médecin permet à ce dernier de consulter. Néanmoins, «pourquoi ne pas prévoir également le droit d’en prendre une copie»?
L’art 27 porte sur le RGPD, qu’il était évidemment impossible de reprendre dans son intégralité dans les pages du Compendium. Le RGPD comporte toutefois cinq grands principes de base, d’importance équivalente, et le fait de ne pas les reprendre tous peut prêter à confusion. Un bon exemple dont notre pays pourrait s’inspirer est celui du Royaume-Uni.
Honoraires
L’art 33 stipule que le médecin fixe ses honoraires sur la base de ses prestations réelles et en informe clairement le patient au préalable. Coralie Herijgers estime toutefois que les explications accompagnant ce point dans le Compendium ne sont pas suffisamment claires. Dans le passé, on précisait par exemple que le médecin pouvait tenir compte de la situation économique du patient et de l’importance de sa prestation pour fixer son honoraire. La critique est toutefois un peu tirée par les cheveux, puisque le Compendium mentionne explicitement que la situation de faiblesse du patient ne peut jamais empêcher le médecin de lui apporter les soins nécessaires.
Conclusion de Coralie Herijgers: le Compendium comporte de nombreux points positifs, des objectifs clairs, une codification correcte… mais il pourrait aller encore plus loin avec des références croisées univoques. Tels qu’ils sont formulés, certains points sont aussi impossibles à imposer ou même à mettre en pratique.
Impossible d’interdire complètement la publicité
L’article 37 du Compendium aborde la question de la publicité. Le médecin a le droit de faire connaître son activité au public… mais reste à savoir comment, ce qui n’est pas clairement explicité. Le Compendium précise que toute information ou congrès à visée commerciale sont interdits. L’Ordre semble toutefois aller un peu loin sur ce point. Des textes législatifs récents estiment en effet qu’il est permis de diffuser des informations sur les activités du prestataire, mais pas de racoler des patients. Est-il toutefois autorisé de les recruter par la biais de simples informations? La limite reste difficile à définir.
Précisons néanmoins qu’en France, une interdiction absolue de faire de la publicité a été récemment annulée par le Conseil d’État au motif qu’elle était incompatible avec les règles de la concurrence. Il est par contre possible de poser des limites de forme et de contenu. Néanmoins, un objectif de promotion est fondamentalement inhérent à la publicité, souligne Coralie Herijgers. Interdire cette fonction revient à interdire la publicité elle-même.
(1) Antwerp Health Law and Ethics Chair (Ahlec)
Lire aussi : Le « Code de déontologie commenté » sort chez Larcier
Derniers commentaires
Jacques DE TOEUF
05 décembre 2019Il est intéressant de constater l'engouement des juristes et des écoles du droit pour le thème de l'ordre professionnel. Le code de déontologie est élaboré sous l'autorité du président de l'ordre, haut magistrat de la cour de cassation, de grande compétence et connaissances. Le nouveau code est totalement adapté à l'évolution de la société et aux attentes et responsabilités réciproques des patients et des médecins.
Quand de jeunes juristes talentueux se penchent sur l'Ordre des médecins, on est assuré de bénéficier de profondes réflexions. Quelques points soulevés m'interpellent.
Le vieux fantasme de la consultation publique revient au galop. D'ailleurs pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du raisonnement et créer un ordre des médecins sans médecins, composé de citoyens tirés au sort (c'est à la mode) qui compenseront leur méconnaissance totale du sujet par leur enthousiasme juvénile , et feront enfin de l'ordre le joyau de la réflexion populaire avec des chambres de discipline exemplaires constituées sur le modèle des tricoteuses de la révolution française? Et si on commençait plutôt par expérimenter ce modèle de transparence en légiférant à propos des barreaux des avocats?
Quant à la Grande Bretagne, elle ne connaît pas d'ordre des médecins mais dispose du General Medical Council dont une des activités consiste à pourchasser ceux qui s'écartent des règles du NHS dont tout le monde applaudit la pertinence et l'excellence des résultats mesurables de qualité/sécurité des soins.
Depuis les années 90, des dizaines projets de réforme de l'ordre-ou plutôt des ordres- ont voulu déposséder les médecins de la maîtrise de leur outil déontologique au profit d'un gloubiboulga fort indigeste. Par chance, ils n'ont pas abouti. Il ne fait aucun doute que les gouvernements à venir s'attelleront à leur tour à la réforme: à défaut d'être prioritaire par rapport à la recherche de solutions à la faillite de l'Etat, ce sera plus simple à mettre en oeuvre?