Les chutes chez les personnes âgées, affectant environ 30% des >65 ans chaque année selon l’OMS, génèrent d’importantes conséquences physiques et émotionnelles. Leur prévention s’avère fondamentale. Celle-ci s’articule autour de trois niveaux fondamentaux: la prévention primaire, qui cherche à prévenir les chutes, la prévention secondaire, qui se concentre sur l’identification des facteurs de risque de chutes, et la prévention tertiaire, axée sur la réduction des conséquences des chutes. L’approche secondaire est abordée plus exhaustivement ci-dessous. L’accent est donc mis sur la consultation médicale et le suivi, ainsi que sur la sensibilisation et l’éducation.
Introduction
Les chutes chez les personnes âgées, affectant environ 30% des 65 ans et plus chaque année selon l’OMS, génèrent d’importantes conséquences. Outre les traumatismes physiques tels que les fractures, elles entraînent une perte d’autonomie, une institutionnalisation et une augmentation de la mortalité. Sur le plan émotionnel, les chutes suscitent anxiété et diminution de la confiance en soi, contribuant à l’isolement social et à des implications sur la santé mentale. Les coûts économiques, directs (soins de santé) et indirects (perte de productivité, adaptations de l’environnement), représentent un fardeau considérable pour le système de santé belge.
La prévention des chutes chez les personnes âgées s’articule autour de trois niveaux fondamentaux: la prévention primaire, qui cherche à prévenir les chutes, la prévention secondaire, qui se concentre sur l’identification des facteurs de risque de chutes, et la prévention tertiaire, axée sur la réduction des conséquences des chutes.
• La prévention primaire des chutes chez les personnes âgées vise à éviter leur occurrence en adoptant des stratégies proactives. Trois axes majeurs forment la base de cette approche globale. Tout d’abord, l’exercice physique régulier, essentiel pour améliorer la force musculaire, l’équilibre et la flexibilité, prévient les chutes. Ensuite, l’évaluation minutieuse des risques à domicile, avec des adaptations simples, réduit considérablement le danger. Enfin, la promotion d’un mode de vie sain, incluant une alimentation équilibrée et la prévention des comorbidités, complète cette approche holistique.
• La prévention secondaire vise à détecter tous les facteurs de risque de chute chez les personnes âgées. Pour y parvenir, elle met en œuvre des stratégies essentielles centrées sur la consultation médicale, l’évaluation fonctionnelle (notamment l’évaluation gériatrique standardisée), le suivi, ainsi que la sensibilisation et l’éducation de la personne concernée. La prévention secondaire est probablement la plus intéressante pour le clinicien car elle offre une très grande possibilité d’action. Cette approche préventive spécifique est donc abordée plus exhaustivement ci-dessous.
• En ce qui concerne la prévention tertiaire, celle-ci vise à minimiser les conséquences et les complications à long terme des chutes, avec diverses stratégies. Les soins post-chute et la rééducation, notamment par une kinésithérapie intensive, montrent des avantages significatifs dans la récupération et la fonction physique. Un suivi médical régulier, incluant la supplémentation en calcium et vitamine D, ainsi que des adaptations médicamenteuses, contribue à réduire les complications graves liées aux chutes. L’introduction d’aides à la mobilité personnalisées peut réduire le risque de chutes, bien que l’accompagnement professionnel soit crucial pour une utilisation sûre. Les technologies émergentes, telles que les capteurs de mouvement et les applications de suivi, offrent une surveillance continue, mais des défis subsistent, notamment la normalisation, la fiabilité, les aspects éthiques et l’acceptation sociale.
En ce qui concerne la prévention secondaire des chutes, plusieurs éléments sont à prendre en considération:
Identification des facteurs de risque
Une identification systématique des principaux facteurs de risque de chutes est une étape cruciale de la prévention secondaire. Cela inclut notamment le relevé des antécédents médico-chirurgicaux ayant un impact direct ou indirect sur les structures et les fonctions impliquées dans la réalisation de l’ordre moteur, le maintien du tonus et de l’équilibre, la quantification de la perte de force musculaire, des troubles de l’équilibre ou de la marche, l’identification des problèmes de vision et d’audition, l’évaluation des médicaments potentiellement dangereux (1), une évaluation fonctionnelle standardisée investiguant les fonctions complexes nécessaires au maintien de la marche et de l’équilibre (nutrition, cognition et thymie). Dans la démarche de prévention secondaire par le clinicien, une exploration approfondie des facteurs de risque nécessite la réalisation de tests cliniques spécifiques (2). Ces évaluations cliniques offrent des indications précieuses pour adapter les interventions de manière personnalisée. Cependant, aucun outil d’évaluation de la qualité de la marche, de l’équilibre ou de la mobilité fonctionnelle, pris isolément, ne peut être utilisé pour prédire avec une fiabilité et une validité parfaites le risque de chute chez les personnes âgées (3). Cependant, plusieurs tests sont intéressants et complémentaires:
a. Le Test de Tinetti, également connu sous le nom de Performance-Oriented Mobility Assessment (POMA), se concentre sur l’évaluation de l’équilibre et de la marche. En effectuant ce test, le clinicien peut observer la stabilité posturale, la capacité à effectuer des mouvements de base, et la coordination lors de la marche.
b. Le Test du Get Up and Go évalue la capacité de se lever d’une chaise, de marcher sur une courte distance, puis de retourner s’asseoir. Ce test fournit des indications sur la force des membres inférieurs, l’équilibre dynamique et la coordination des mouvements. Un temps prolongé pour effectuer cette tâche peut indiquer un risque accru de chute.
c. Le Test du Lever de Chaise en 30 Secondes évalue la force musculaire des membres inférieurs. Les individus sont encouragés à se lever et s’asseoir d’une chaise aussi rapidement que possible pendant une période de 30 secondes. Une performance réduite dans ce test peut indiquer une faiblesse musculaire, un facteur de risque majeur de chute.
d. La vitesse de marche, souvent mesurée par des tests standardisés, par exemple sur 4 ou 10 mètres, offre une évaluation directe de la capacité locomotrice. Une diminution de la vitesse de marche (avec une valeur seuil de 0,8 mètre par seconde) est associée à un risque accru de chute chez les personnes âgées, faisant de cette mesure un indicateur intéressant dans la stratification du risque.
À côté de ces évaluations quantitatives du risque de chutes, d’autres évaluations plus qualitatives peuvent être réalisées. Lors de l’examen clinique de la marche, le clinicien observe attentivement la stabilité posturale, la fluidité des mouvements et la coordination lors de la marche simple. En complément, les évaluations de mises en situation, notamment à travers des passages d’obstacles, offrent une perspective plus réaliste de la mobilité de la personne, simulant les conditions extérieures. Les transferts, y compris la capacité de se lever d’une chaise et de s’asseoir, ainsi que la réalisation d’un demi-tour, sont également évalués pour appréhender la mobilité dans des situations courantes. L’examen de l’utilisation d’une aide à la marche, le cas échéant, offre des informations précieuses sur la manière dont l’individu s’adapte et gère son équilibre. Il permet de déterminer si l’aide à la marche actuelle est appropriée et bien utilisée. En outre, la marche en situations complexes (comme le passage d’obstacle) permet aussi d’analyser la gestion de l’aide technique et la capacité d’adaptation face à des challenges plus variés que la simple marche sur sol stable. Enfin, l’évaluation de la marche en double tâche constitue un aspect complémentaire de l’examen clinique. Cette approche évalue la capacité d’une personne à effectuer une tâche cognitive tout en marchant, simulant ainsi des conditions de vie réelles.
Consultation médicale et suivi
Encourager la consultation médicale régulière est une composante clé de la prévention secondaire. Les visites médicales régulières permettent d’évaluer la santé générale, la nutrition, l’humeur, la cognition, les médicaments en cours, et les problèmes de mobilité. Le suivi médical et fonctionnel devient un outil proactif pour prévenir les chutes, en identifiant et en traitant rapidement les facteurs de risque émergents (4). En ce qui concerne la gestion des médicaments, le clinicien procède à une évaluation approfondie des médicaments en cours, tenant compte de la posologie, des interactions médicamenteuses potentielles et des effets indésirables. En effet, certains médicaments peuvent altérer la vigilance, la coordination motrice et l’équilibre, augmentant ainsi le risque de chute (5).
Sensibilisation et éducation
La sensibilisation et l’éducation émergent comme des piliers fondamentaux de la prévention secondaire. Informer les personnes âgées et leurs aidants sur les signes précurseurs de risques de chute est essentiel. Mettre en lumière les dangers, les facteurs de risque et les comportements sécuritaires favorise des ajustements du mode de vie. Cela implique également d’insister sur l’importance de l’auto-évaluation régulière et de signaler tout changement significatif dans la mobilité ou la santé. L’éducation des personnes âgées sur les effets secondaires potentiels des médicaments revêt une importance cruciale. Comprendre les risques associés à certains médicaments, ainsi que les signes précurseurs d’une réaction indésirable, permet aux individus de signaler rapidement tout problème à leur clinicien. Cependant, une scoping review a examiné les interventions éducatives en matière de prévention des chutes destinées aux professionnels de la santé dans les hôpitaux et a révélé un manque de principes uniformes dans la conception de l’éducation de même que dans les évaluations (6). Une standardisation de l‘éducation au patient semble donc nécessaire afin d’en optimaliser les effets. Néanmoins, la sensibilisation et l’éducation jouent un rôle crucial dans la rupture du cercle vicieux qui peut s’installer chez les personnes âgées, où une chute initiale peut déclencher une série de conséquences néfastes en chaine (réduction des activités, isolement social, diminution des capacités motrices) entrainant un risque accru de nouvelle chute.
Deux éléments sont cependant importants à garder en tête:
• Une chute ne doit jamais être banalisée et doit toujours être prise au sérieux, tant par le clinicien que par le sujet âgé lui-même ou par l’entourage. Chaque incident de ce type peut être révélateur de risques sous-jacents importants, nécessitant une évaluation approfondie pour prévenir de futures chutes et minimiser les conséquences. La prévention secondaire doit transcender la simple correction des facteurs de risque pour inclure une sensibilisation proactive, contribuant à créer un environnement propice à la sécurité des personnes âgées.
• Un défi majeur de la prévention secondaire réside dans la nécessité de promouvoir une vision positive du vieillissement sans tomber dans le piège des stéréotypes négatifs. En cherchant à assurer une sécurité maximale (avec un excès d’examens complémentaires, de la surprotection environnementale ou des «interdictions» d’activités par exemple), il est parfois possible de restreindre involontairement l’autonomie des personnes âgées. Trouver un équilibre subtil entre prévention des chutes et maintien de l’indépendance devient essentiel. Une approche trop intrusive peut contribuer à la stigmatisation, compromettant ainsi la participation active des personnes âgées. On risque aussi parfois de les infantiliser, renforçant ainsi les idées préconçues sur leurs capacités réduites. Il est crucial de trouver un équilibre délicat entre assurer la sécurité et maintenir l’autonomie. La prévention secondaire doit donc naviguer habilement entre protection et autonomie, brisant ainsi les stéréotypes tout en encourageant un engagement actif pour préserver la santé et réduire les risques de chute.
Discussion et conclusion
Il nous semble peut-être important de souligner l’intérêt des hôpitaux de jour gériatriques en tant que ressource précieuse dans la prévention des chutes chez les personnes âgées. Installé au sein des hôpitaux, l’hôpital de jour gériatrique fait partie intégrante du service de gériatrie mais propose une prise en charge strictement ambulatoire. En quelques heures, ces structures offrent en effet un environnement idéal pour sensibiliser, dépister, éduquer et suivre les personnes âgées dans le cadre de la prévention des chutes. Grâce à une approche multidisciplinaire, ces établissements réunissent des professionnels de la santé, tels que des médecins gériatres, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des neuropsychologues et des infirmières spécialisées en gériatrie. Le cas échéant, le gériatre peut aussi solliciter un avis diététique, ou logopédique mais également l’avis d’autres confrères (physiothérapeute, ORL…) Ces équipes collaboratives peuvent effectuer des évaluations complètes des facteurs de risque individuels, proposer des programmes d’exercices adaptés, dispenser des conseils sur l’aménagement du domicile, et offrir un suivi régulier pour ajuster les interventions en fonction des besoins évolutifs de chaque patient. De plus, ces structures offrent parfois une prise en charge plus collective, renforçant ainsi le soutien social et l’engagement dans la prévention des chutes.
En conclusion, la prévention, notamment secondaire, s’inscrit dans un écosystème de soins intégrés, offrant une approche exhaustive et personnalisée des risques de chutes chez les personnes âgées. Cet écosystème se caractérise par la complémentarité de l’éducation, du suivi médical et de la promotion d’un mode de vie sain. En agissant sur ces différents fronts, la prévention secondaire vise à identifier, évaluer et traiter les facteurs de risque spécifiques à la chute, assurant ainsi un accompagnement global pour préserver la sécurité et le bien-être des ainés.