«Rien n’a été fait pour revaloriser les hôpitaux à long terme» (Dr Ph. Leroy)

En ce début d’année 2023, l’avenir du secteur hospitalier est au coeur de nombreuses réflexions (financement...). Le Dr Philippe Leroy, CEO du CHU Saint-Pierre, est inquiet. « Je ne me considère pas vraiment comme un optimiste ou un pessimiste, j’essaie d’être dans le juste milieu. »

Le Spécialiste : Vous venez de vivre des jours compliqués à la suite d’une cyberattaque. La cybersécurité doit être une priorité pour les années à venir dans le financement hospitalier ?

Oui, cela doit être une priorité. Nous sommes un grand nombre à le soutenir depuis des années. Une grande banque a établi dans son rapport annuel que le risque de cybersécurité était encore plus grand pour le secteur hospitalier que le risque financier. Pour le CHU Saint-Pierre notre coût pour la cybersécurité est d’environ 1 million d’euros par an. Notre financement est de 160.000 euros. Ne nous étonnons pas des conséquences de ces choix politiques. Tout est prévisible. Il y aura d’autres attaques à l’encontre d’autres hôpitaux. 

Quel est votre constat sur l’avenir des hôpitaux ? Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?

La situation financière des hôpitaux m’inquiète : au sortir de la crise Covid, rien n’a été fait pour revaloriser les hôpitaux à long terme et redonner de l’oxygène et transformer en profondeur notre modèle de financement. Seulement deux-trois mesures ont été prises (fonds Blouses blanches, fonds énergie...) mais beaucoup de choses ont été enlevées d’un autre côté. Par exemple, en 2022, année d’une inflation record, nos financements n’ont pas du tout été indexés à due concurrence, laissant de facto les hôpitaux encaisser frontalement l’impact de l’inflation sur leurs fonds propres …. Cela s’appelle nous faire payer le coût de la crise. Cette situation nous bloque dans nos capacités à investir. L’impact sur le terrain apparaîtra d’ici cinq ans. 

Qu’est-ce qui, objectivement, montre la grande crise du secteur ?

L’étude Maha permet d’avoir un éclairage extérieur. Elle indique clairement l’état du secteur. Elle détaille la moyenne sectorielle année après année. Ces chiffres ne mentent pas. Les chiffres plongent. Les hôpitaux ne peuvent trouver l’argent que dans les honoraires des médecins et le budget des moyens financiers (BMF)...Mais ce sont les pouvoirs publics qui fixent ce budget et les montants des honoraires. A titre d’exemple, l’indexation des honoraires en 2022 est de 1,5% en moyenne sur l’année alors que nos coûts augmentent de 10%. Il découle un manque à gagner de plusieurs millions pour un hôpital de taille moyenne. Le chèque énergie de 100.000 euros n’était pas suffisant. C’est comme si on nous ampute d’un côté et que l’on nous donne une petite gorgée de soupe de l’autre côté pour nous réchauffer.

Percevez-vous une volonté d’agir autrement de la part des autorités publiques ? 

C’est justement ce qui m’inquiète le plus sur le fond. Nous ne voyons pas de geste fort envers notre secteur. Ceci nous plonge dans une ambiance morose et décourage en partie les jeunes de se lancer dans des carrières de santé. Il y a une crise de sens. Voyez l’attractivité perçue des carrières infirmières … On est aujourd’hui en pénurie. L’impact se fait déjà sentir, mais nous n’avons encore rien vu. Tous les acteurs sont touchés au sein de l’hôpital et même les médecins finissent par percevoir moins d’honoraires parce qu’il y a moins de soins pratiqués avec le manque récurrent d’infirmière.

Justement pourquoi l’hôpital n’attire plus autant d’infirmière ? 

Cette question est fondamentale. Pourquoi ce métier attire moins de monde qu’auparavant ? Le secteur hospitalier est de moins en moins stable au niveau financier. Des économies sont réalisées chaque année. Cette vision des soins impacte les travailleurs. Ils ne peuvent plus se projeter dans une carrière, dans un futur. Ce n’est pas agréable de travailler dans un secteur où l’on fait en permanence des économies. 

Vraiment ? 

Je le vis, je le vois. Dans de nombreux secteurs de l’hôpital, alors que nous parlons de personnes qui sont passionnées, l’envie n’est plus nécessairement la même. Quand ils parlent de leur métier, ils sont parfois moins positifs. Les jeunes n’ont plus envie, non plus, de venir ou de rester. La question du sens et la question de la valorisation sont ignorées par nos décideurs. Cela explique aussi pourquoi les médecins et paramédicaux ont de plus en plus envie de faire de la pratique extrahospitalière.

Quel impact cela va-t-il avoir sur l’hôpital ?

A terme, la perte de qualité de soins. Le personnel manque de temps pour travailler convenablement mais aussi pour considérer le patient dans sa globalité et le soigner au mieux. Même si les technologies ont progressé, les délais d’attente s’allongent...

Dans ce contexte pourquoi maintient-on le numerus clausus ?

Je suis effrayé de voir la moyenne d’âge des médecins généralistes, autour de 55 ans. Effrayé que cela suscite si peu d’inquiétude de la part des autorités compétentes. Cela fait 10 ans que les acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme et il ne se passe rien. On continue avec un numerus clausus incompréhensible. Je pense que, dans ce pays, personne ne fait actuellement un vrai diagnostic des besoins des soins de santé avec une véritable analyse et une vision à 10 ans. On ne fait que des actes cosmétiques.

Comme d’autres, constatez-vous une hausse de l’absentéisme ?

En effet.  L’absentéisme augmente de plus en plus alors que les gens ne sont pas plus malades qu’avant.. Il y a un mal-être profond avec un décrochage mental avec une perte de sens. Ils se sentent oubliés dans leur quotidien professionnel. 

Un élément positif tout de même ? 

Malgré tout, nous avons un système de santé qui tient la route. C’est un miracle que les fondamentaux du secteur résistent. Toutefois, cela ne va pas durer parce que les hôpitaux sont en train de limiter leur investissement dans leur infrastructure ou dans la digitalisation par manque de moyens. Le sous-investissement est une réalité. Il va s’aggraver dans les 10 ans à venir avec, en plus, un personnel moins bien formé. A cela, il convient d’ajouter le fait que les médecins souhaitent avoir une autre vie. C’est évidemment compréhensible. Toutefois, la réalité de l’hôpital demande un investissement important auquel on ne peut plus répondre. Cela devient donc un cocktail détonnant. 

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Derniers commentaires

  • HERVE GODISCAL

    08 juillet 2023

    Le problème et c'est un problème d'une gravité extrême, c'est que la gouvernance du secteur hospitalier est politiquement liée au marketing et que ce ce sont des managers ,alias monsieur je sais tout même si je n'y connais rien,qui font la pluie et leur bon temps.... Cela suffit ! Les seules personnes compétentes pour diriger une institution de soins ce sont les soignants c'est à dire les médecins,les infirmières et les paramédicaux.

  • Luc HERRY

    12 avril 2023

    J'ai malheureusement la même vison que le D r Ph Leroy. On va dans le mur, et l'organisation des soins doit être une préoccupation URGENTE de nos décideurs. Dr Luc Herry président Absym Wallonie

  • Gilbert BEJJANI

    31 mars 2023

    En effet il faut sauver les hôpitaux, lieu des soins les plus aigus, les plus coûteux et nécessitant le plus de compétences réunies. Mais il faut aussi une meilleure première ligne, plus de médecins, plus d'infirmières, plus de valorisation, plus de temps libre, plus de travail avec les autres soignants, plus de subsidiarité etc ... Dites moi juste comment on paye tout cela ? Ce qui m'inquiète vraiment, et je rejoins Philippe Leroy avec une nuance, c'est que rien n'a été fait pour changer notre manière de soigner, notre manière de faire. RIEN. Une note positive, c'est que nous ne sommes pas les seuls dans cette galère ( cf NHS, USA, France etc ) par contre, la note pessimiste, c'est que cela se dégrade partout et si rien n'est fait, les choses vont rapidement se détériorer ( 10 ans est en effet une bonne estimation ). La qualité ne sera que pour les riches ! :-( Gilbert Bejjani

  • Charles KARIGER

    30 mars 2023

    Un des hauts "responsables" de notre sécu ne proclamait-il pas voici quelques jours que l' ESSENTIEL dans les soins, c'est d'avoir bien et beaucoup encodé, sumérisé et d'"échanger"?
    Tout le reste, diagnostic, soins, traitements, état des soignants et des lieux de soin,... bof....

  • Stephane Rillaerts

    30 mars 2023

    Constat récurrent et largement partagé. On peut y ajouter que les initiatives mal conçues, mal pensées, mal préparées (les réseaux, les "cluster basse variabilité", l'hospitalisation à domicile, le dossier patient informatisé,...) consomment un temps, une énergie colossaux et augmentent la complication de la gestion du système, pour des résultats insignifiants. Une part de plus en plus importante de notre travail (imposé) n'a aucune utilité. Stéphane Rillaerts, CHRSM.

  • Stephane Rillaerts

    30 mars 2023

    Constat récurrent et largement partagé. On peut y ajouter que les initiatives mal conçues, mal pensées, mal préparées (les réseaux, les "cluster basse variabilité", l'hospitalisation à domicile, le dossier patient informatisé,...) consomment un temps, une énergie colossaux et augmentent la complication de la gestion du système, pour des résultats insignifiants. Une part de plus en plus importante de notre travail (imposé) n'a aucune utilité. Stéphane Rillaerts, CHRSM.