Médecin ou exécutant ? La dévaluation rampante d’une vocation (Dr.J. Coveliers)

Ces dernières années, pour beaucoup d’acteurs du monde médical, une évidence s’est imposée douloureusement : l’autonomie des médecins est mise à mal. Non par une attaque frontale, mais par un processus insidieux de restriction technocratique, d’uniformisation idéologique et de prise de contrôle administrative sur notre pratique. En tant que médecin, mais aussi en tant qu’homme, je ne peux rester silencieux.

Nous sommes submergés de règles, de directives, d’enregistrements numériques et « d’indicateurs de qualité ». Le jugement médical, qui était autrefois le cœur de notre métier, se voit réduit à une simple décision d’exécution dans des parcours de soins définis par d’autres. Comme si la médecine était une science exacte avec une seule bonne réponse, indépendante du contexte, de l’humanité et de l’intuition.

Le temps, l’attention et les arbitrages nécessaires à une prise en charge de qualité sont étouffés par des systèmes qui placent « l’efficience » au-dessus de l’empathie. Le soin devient de plus en plus une ligne budgétaire à maîtriser. Mais le soin n’est pas un tableau Excel. Le soin est une affaire humaine.

L’étatisation n’est pas la neutralité

Ce que le ministre Vandenbroucke appelle « réforme » ressemble souvent, dans la pratique, à une étatisation des soins. Au nom de l’égalité, on gomme les différences. Au nom de l’accessibilité financière, on centralise les choix.

Mais dans les faits, quelque chose de fondamental disparaît : la liberté pour les médecins de soigner comme ils le jugent juste, en conscience et forts de leur expérience. Le discours dominant sur le task shifting en est un symptôme : l’idée que le métier de médecin peut être « morcelé » en tâches que d’autres exécuteront ensuite, de manière plus rapide et moins coûteuse.

Ce qu’il en reste ? Un cœur vidé de sa substance, privé de cohérence, d’engagement et de responsabilité. Est-ce encore le métier pour lequel nous avons étudié toutes ces années ? Est-ce encore le type de soin que nous souhaiterions recevoir nous-mêmes ?

L’autonomie n’est pas un luxe

L’autonomie du médecin n’est pas un bastion d’ego ou de privilège. Elle garantit la pensée critique, l’évaluation individuelle et la responsabilité morale. Sans cette autonomie, nous devenons des rouages dans une machine. Et nos patients, des numéros dans un système.

Il est temps de reprendre la barre. De dire à voix haute : le médecin n’est pas un simple exécutant. Pas un pion dans un modèle de gestion. Nous sommes des êtres de chair et de sang, dotés de savoir et d’intuition, de sens des responsabilités et d’humanité. C’est précisément cela dont nos patients ont besoin.

Que faut-il ?
De la confiance dans le professionnalisme des médecins. Une revalorisation du jugement médical, plutôt qu’une obéissance aux algorithmes. Moins de bureaucratie, plus d’espace pour une médecine humaine. Et une politique de santé qui écoute le terrain au lieu de le piloter à distance.

Les soins méritent mieux. Nos patients méritent mieux. Nous méritons mieux.

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Derniers commentaires

  • Jean-Marc Verdebout

    23 avril 2025

    Merci pour ce partage...à 2 mois du certificat électronique obligatoire il est grand temps de réagir...Notre laissez-faire est un signal reçu comme tel par l irrespectueux économiste qui nous dirige.. jusqu'où s arrêtera-il?
    Un doigt, la main, le poignet, le coude, le bras, l épaule...et enfin le coeur!

  • Josette JENNES

    23 avril 2025

    Josette Jennès

    Merci cher Confrère Coveliers de partager ce que nous sommes nombreux à vivre et à entendre de nos patients.
    Les multiples contrôles, les prescrits administratifs et financiers dans le sens d'une étatisation vident les Soins de Santé de leur essence.
    Qu'en est-il de la proportion réelle "coût des soins" - "coût administratif" ?

    L'expert, c'est le soignant! Il ne serait plus digne de confiance?
    La médecine c'est la relation soignant-patient avec le sens de la responsabilité vitale, le respect de la personne
    toujours "unique", l'intérêt pour son vécu et ses souffrances, avec pour bagages les connaissances théoriques
    longuement acquises, l'expérience, l'intuition, la créativité.
    La médecine ne serait plus un "art de guérir"?
    Les politiques iraient-ils se faire soigner dans le secteur étatisé en Angleterre où il faut parfois des mois pour une chimio?

    Le fait de "morceler" les soins à d'autres professionnels de la santé va encore dans le sens d'une déshumanisation.
    Les choses sont en effet en route depuis longtemps, déjà lorsque l'anamnèse, cruciale dans la compréhension du patient et de sa pathologie n'est plus réalisée par le médecin, anamnèse qui doit cependant l'éclairer pour diagnostiquer, soigner, prescrire.

    La pénurie chez nous est déjà là.
    En psychiatrie je me vois obligée de refuser trois nouveaux patients par jour...
    En tant que psychiatre, je rencontre nombre d'infirmières, consciencieuses, autrefois passionnées par leur travail mais souhaitant l'abandonner - non pour des raisons financières - mais parce que les valeurs à l'origine de leur engagement sont mises à mal par manque de temps auprès de leurs "patients" devenus "clients", obligations administratives, nécessité de rendement et management entreprenarial.

    N'entend-t-on pas ce signal annonciateur?
    Pour combien de temps encore la "nécessité" d'un concours chez les candidats-médecins en route pour un parcours long et exigeant, aboutissant à une non-reconnaissance des Politiques, un appauvrissement affligeant de la clinique et un mépris du Secret professionnel par enregistrement numérique obligatoire?

  • Benoit Nicolay

    23 avril 2025

    La médecine nécessite humanité et indépendance, 2 constituants du professionnalisme. Merci pour ce partage.

  • Isabelle Delannay

    23 avril 2025

    Tout à fait d accord avec l auteur :)

  • Laure BINET

    23 avril 2025

    tout est dit et super bien dit ...

  • Philippe-Charles BUSARD

    23 avril 2025

    Cher Confrère,

    "Fully agree"

    Merci pour la plume.

    "Ouf, je ne suis pas seul à penser cela"...

    N'oublions pas que ce "grand réformateur" es t un petit Monsieur qui en son temps brulait les preuves pour les glisser sous le tapis ( absout par le parti!) , aujourd'hui se permet de nous donner des leçons de bonne conduite (médicale).
    Il émane parfois tellement de frustration et de rancoeur à l'encontre de notre (vocation) profession que je le soupconne de ne pas avoir dépassé en son temps la premiere candi...

    Anyway, show must go on, bonne journée à tous .

  • Bernard DEPARIS

    22 avril 2025

    Lire ou relire le tract Gallimard de notre confrère Stéphane Velut sur « l’hôpital du flux » ou comment les communicants ont étouffé peu à peu les cliniciens au sein de leurs hôpitaux. Mais gardons le moral, ils ne les ont pas (encore tous) asservis. Bravo pour votre plume.

  • Robert Müler

    22 avril 2025

    Bien dit! On oublie que tout part de la clinique et les algorithmes sont là pour aider, pas pour emprisonner le médecin.
    L'informatisation obligatoire qui remplace le contact humain avec le patient, au nom d'une hypocrite sécurité, la multiplication des bureaucrates et leur insidieuse prise de pouvoir, les anomalies comme la vidéo consultation et l'abominable "intelligence artificielle".
    On vit l'histoire, sans pouvoir la changer.

  • Jean GERAIN

    22 avril 2025

    Entièrement d'accord avec vous cher confrère.
    Et nous méritons mieux qu'un ministre communiste qui, insidieusement, arrive à ses fins: imposer sa vision d'une médecine étatique dans laquelle les patients ne représentent plus qu'un coût, et les médecins des fonctionnaires à dispendieux à contrôler.
    Dr Jean Gérain
    Interniste

  • Julien Lemaire

    22 avril 2025

    Tout est dit…

  • Jean-Marie Gregoire

    22 avril 2025

    Tellement vrai

  • Jean-Charles DEBUCQUOIS

    22 avril 2025

    officiant aux soins intensifs depuis trente ans, confronté au covid 19 à ses débuts, et devant l'hécatombe en mars 2020, , j'ai introduit la cortisone six mois avant qu'elle soit promue comme seul traitement sauvant 30% des malades serieusement atteints, en contradiction avec les recommandations de Sciensano qui "interdisait " cette molécule, que tous les spécialistes en soins intensifs connaissaient pourtant mieux que quiconque...levée de bouclier de la "direction médicale " , qui en a profité pour me virer pour faute grave. Reglementation générale et protocoles de service musèlent totalement les libertés diagnostiques et thérapeutiques , tandis que la "direction médicale" porte atteinte aux privilèges légaux des indépendants...triste évolution sociétale qui fait du médecin un simple exécutant ...au grant bénéfice des gestionnaires hospitaliers toujours plus intrusifs et voraces...définitivement écoeuré, j'ai jetté l'éponge et décidé de profiter d'une vie que la pratique des soins intensifs ( gardes , nuits, week-ends,...) avait trop longtemps fait passer au second plan...pour rien.