Le MG, «spécialiste de tout ce qui résiste au technoscientifique»

Crise financière obligeant à des arbitrages, la médecine générale semble en phase de réhabilitation auprès des décideurs, pour faire contrepoids à l’explosion des dépenses. Mais ce n’est pas juste parce qu’elle est une médecine économe qu’Anne Gillet, présidente du GBO, préconise de la promouvoir et la valoriser… 

Aux 50 ans de son syndicat, le GBO, ce samedi, la présidente a détaillé dans un discours fort applaudi pourquoi ce dernier «s’acharne à développer la dimension collective de notre métier» tout en «protégeant individuellement les prestataires de soins». Pourquoi, dans l’intérêt de la société, il appelle à un modèle de soins plus structuré qui pour autant ne prive pas le médecin de sa marge de manœuvre et le laisse évoluer de la bonne pratique (répondant à toutes les normes souhaitables) à la belle pratique (qui permet de rencontrer au mieux les patients dans toute leur diversité). Pourquoi il faut intellectuellement et moralement soutenir les MG, ces champions de la rencontre avec l’humain, confrontés en consultations «à tout ce qui ne peut s’encoder, à tout ce qui résiste aux statistiques, consultations où nous sommes devenus les spécialistes de tout ce qui résiste à l’information technoscientifique…»

Nous reproduisons ci-dessous son texte.

 

Madame la Ministre, Messieurs les membres des Cabinets du Premier Ministre Charles Michel et des Ministres Maxime Prévot et Didier Gosuin, Mesdames les Députées, Mesdames et Messieurs, chers Collègues,

C’est avec joie que nous vous accueillons aujourd’hui pour fêter les 50 ans de notre syndicalisme médical.

C’est avec reconnaissance que nous nous tournons vers le passé pour saluer la pertinence du combat initié par les fondateurs de notre mouvement, dont certains nous font l’honneur de leur présence. Nous nous félicitons de la clairvoyance et de la ténacité avec lesquelles ils ont mené le travail difficile de la défense professionnelle, à contre courant des forces majoritaires en place. Ils ont compris le danger pour la santé publique de voir se dévaloriser la profession de médecin généraliste, pourtant pierre angulaire dans le système des soins de santé. Et cela, dans un contexte de survalorisation de la technicité, des soins curatifs, des soins hospitaliers, au détriment de ce qu’on appelle les soins primaires, de l’anglais «primary» qui veut dire «essentiel».

L’honnêteté intellectuelle, le respect en toutes circonstances de leurs partenaires dans les négociations, la force morale tranquille, l’obstination pour préserver l’harmonie entre l’intérêt public et celui des médecins généralistes, tant de qualités ont permis à nos prédécesseurs de promouvoir notre métier avec élégance. Tant de qualités leur ont permis de construire un syndicalisme qui ne soit pas corporatiste. Et nous les en remercions. Particulièrement les Docteurs Joseph Declerq, Robert Streel, Albert Coelis, Michel Vrayenne, Arthur Defechereux, Paul Pierret, véritables maquisards de la défense professionnelle, les Docteurs Karel Vandemeulebroeck et notre très regretté Philippe Vandermeeren, les docteurs Guy Duhayon et Marcel Bauval encore actifs. Nous remercions les membres du GBO actifs au Conseil National et les sympathisants… Nos permanents : dans le passé Madame De Jonge, aujourd’hui Madame Valentine Gevers qui est devenue un pilier incontournable du GBO grâce à son expertise, particulièrement dans le domaine de la réforme de la garde et Madame Françoise Verschaeven, notre secrétaire.

Mesdames et Messieurs, nous sommes heureux que vous puissiez entendre nos réflexions aujourd’hui pour l’élaboration d’une politique de valorisation de la médecine générale dans le but d’améliorer la santé de tous.

Les sujets ne manquent pas: qualité des soins, qualité de vie, qualité des collaborations,… et plus particulièrement: réforme de la garde, planification, informatisation, accessibilité aux soins, évaluation, organisation des pratiques, valorisation intellectuelle, morale et financière du métier, partenariat dans un contexte de réforme de l’état, multidisciplinarité…

Parce que, oui, «ils sont presque 100% à naître à l’hôpital.

Ils sont 65% à y mourir.

Pour le reste bien des moments ils les passent «extramuros».» (M. Moulin)

Non, la maladie ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital. Bien au contraire, c’est à sa sortie que tout commence. C’est en replongeant dans la vie que l’on prend la mesure du retentissement de la maladie sur la santé, le moral, la famille, le travail, la vie sociale. Et cela, c’est en grande partie notre job de généraliste.

Mais la médecine générale est en crise. Vous le savez, depuis longtemps. Depuis qu’elle a été délaissée par 35 ans de CNMM déniant l’indispensable arbitrage entre les lignes de soins, l’indispensable arbitrage entre les poids respectifs des actes intellectuels et des actes techniques, du curatif et du préventif, de l’ambulatoire et de l’hospitalier, l’indispensable arbitrage entre l’approche globale généraliste et celle partielle, parcellaire, spécialisée…

Nous remercions particulièrement nos partenaires de l’ASGB avec qui nous nous sommes associés pour obtenir les premières élections syndicales en 1998, grâce auxquelles nous avons pu inverser le cours funeste de la dynamique en CNMM. Nous avons revendiqué cet arbitrage politique et nous l’avons en partie obtenu... Mais nous n’aurons de cesse d’exiger qu’il soit pensé et organisé en collaboration étroite avec les prestataires pour qu’il ne soit pas vécu comme arbitraire. Aujourd’hui nous saluons aussi la présence récente à nos côtés du MoDeS, tout jeune syndicat de MS francophones.

Admettons qu’aujourd’hui, il semble que la crise financière ait rappelé à nos gouvernants la nécessité d’entendre cette revendication d’arbitrage. Nous pouvons prétendre que la MG est donc bien en phase de réhabilitation pour faire contrepoids à l’explosion des dépenses.

Mais est-elle véritablement réhabilitée dans son rôle de premier échelon dans un système de soins de santé structuré? Est-elle vraiment réhabilitée dans les universités? Nous pouvons penser que les projets de réorganisation des gardes sont une étape où tous s’accordent pour prôner les meilleurs soins, au meilleur endroit, par le prestataire le plus adéquat, au moment le plus opportun, et au prix le plus juste. Mais là particulièrement il nous faudra nous donner les moyens nécessaires pour  réussir ce  pari de l’excellence du service public rendu par un tri des appels optimal, très rapidement étendu sur tout le territoire belge avec un système 1733 performant, sans lequel tous les projets novateurs risquent de s’effondrer.

Gageons que nous puissions convaincre à étendre ce principe de répartition (et délégation) des tâches et de collaboration optimale entre les lignes de soins au système des soins en général, jour et nuit, semaine et WE, par exemple dans les projets d’alternatives aux hospitalisations, dans la prise en charge des patients atteints de maladie chronique.

Et gageons que nous puissions honorer notre mission de soins de premier échelon avec un effectif suffisant de MG équitablement répartis sur tout le territoire belge. Le sujet de la planification est encore effectivement en chantier. Différentes pistes sont à explorer, sans tabou: quel accès aux études  pour tout étudiant sélectionné selon ses compétences? Peut-on penser à la création de numéros INAMI provisoires pour permettre à tous l’accès à la spécialisation en MG ou MS? Peut-on envisager une planification à l’installation par l’attribution d’un numéro INAMI définitif? Comment actualiser l’évaluation de la valeur de l’équivalent temps plein (ETP) selon le mode de travail et de vie actuel…   

Gageons que la MG omnipraticienne puisse trouver sa place dans un partenariat créatif avec d’autres métiers dans une première ligne de soins, elle aussi structurée sur plusieurs niveaux: infirmiers de rue ou de domicile, centre d’accueils de réfugiés, équipes de soins palliatifs, centre de santé mentale, médecine du travail, médecine de santé publique, pharmaciens, dentistes …

Vous le voyez: notre action syndicale s’est constituée comme contrepouvoir aux excès de la dérégulation de ce que j’appelle  notre non-système actuel des soins, en s’attelant à vouloir le structurer. Notre action syndicale se construit aujourd’hui aussi comme contrepouvoir aux excès de la régulation, cette régulation même que nous avons appelée de nos vœux au service de la santé publique.

En effet: l’interventionnisme de l’état ne doit pas lui faire oublier l’intérêt de préserver la liberté d’action de la profession médicale. Ceci éclaire le sens du titre de notre matinée. «De la bonne pratique à la belle pratique». Les MG s’accordent à la nécessité de promouvoir une «bonne pratique» qui réponde aux exigences d’une évaluation solide dans un combat obstiné contre la sous- et surmédicalisation, contre la «iatrogénicité» et contre le risque de marchandisation des soins de santé. Mais les MG revendiquent tout aussi obstinément la liberté d’action pour rencontrer au mieux les patients: vous savez, cette rencontre de l’homme, de la femme, de l’enfant, du vieillard dans nos consultations d’hiver, d’été, dans un contexte de récession économique, de désarroi social et environnemental. Consultations où se disent les vérités à demi-mots, où se vivent les silences qui en disent long. Consultations où nous sommes face à tout ce qui ne peut s’encoder, à tout ce qui résiste aux statistiques, consultations où nous sommes devenus les spécialistes de tout ce qui résiste à l’information technoscientifique…

Quand j’ai terminé mes études de médecine, je savais les maladies et leurs traitements. Je savais les gestes pour palper les ventres, pour ausculter les cœurs. Mes très longues études m’avaient appris cela avec soin. Mais je ne savais pas alors que j’avais rendez-vous avec la souffrance, l’amour, la joie, la désespérance, que j’aurais à prendre la mesure de la profondeur du désarroi, de la vie qui bascule, de l’espoir qui renaît, des gestes qui libèrent. Nos gouvernants doivent savoir que c’est cela qui nous colle à la peau tout au long de notre travail. Qu’il nous est impossible de faire fi de l’esprit quand on accepte de s’occuper du corps. Et que dans ces rencontres nous avons aussi, «à huis clos, affaire à la santé du corps social...» (H. Van Camp).

C’est pour cela que notre métier se doit, en plus d’être humanitaire, d’être aussi politique.

La liberté de pensée et d’action, intimement liée au sens des responsabilités et de la solidarité, est le plus beau service que nous, MG, puissions rendre aux patients et à la société.

Aider à la structuration de la profession, la financer à la hauteur de ses missions, la valoriser intellectuellement et moralement, la soutenir dans ses missions les plus difficiles au contact des populations les plus fragiles, c’est le plus beau service que nos gouvernants puissent rendre aux MG, et in fine aux patients et à la société.

Voilà pourquoi il est indispensable de promouvoir en tous lieux la valorisation de la MG. Voilà pourquoi nous nous sommes acharnés syndicalement à développer la dimension collective de  notre métier et à protéger individuellement les prestataires de soins. Non par «généralisto-centrisme», non pas parce que c’est une médecine économe, moins chère, mais parce qu’elle s’occupe, se préoccupe, en ce  «premier monde», de ceux qui en sont les chevilles ouvrières, parfois laissées pour compte. «Parce qu’elle ausculte, ce qu’il est urgent d’entendre: le cœur de notre société.» (H. Van Camp)

Je vous remercie pour votre attention.

Docteur A. Gillet-Verhaegen

Présidente du GBO – 3/10/2015

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