Samedi dernier, à Namur, lors du congrès du Collège de Médecine Générale (CMG), le Pr Paul Frappé, président du Collège de Médecine Générale de France, est intervenu dans le cadre de la conférence Défis actuels de la Médecine Générale. Ce généraliste et enseignant à Saint-Étienne a partagé son expertise sur trois enjeux majeurs auxquels fait face la médecine générale aujourd’hui. Les similitudes entre la France et la Belgique sont frappantes.
Pratiquer la médecine générale est un véritable défi, et les difficultés sont nombreuses. Le Pr Frappé a choisi de se concentrer sur trois grands enjeux. « Le généraliste est lourdement confronté à la complexité », déclare-t-il.
Faire face à la complexité médicale
Cette complexité présente plusieurs facettes, à commencer par la polypathologie de nombreux patients, qui rend difficile l’application des recommandations thérapeutiques. Ces dernières ne considèrent souvent qu’une seule pathologie, et toutes ne reposent pas sur des preuves de même niveau.
« Sur quarante recommandations de la Haute Autorité de Santé, une seule bénéficie de preuves de grade A », précise-t-il. Les recommandations ne sont que des fils rouges que le médecin doit adapter à chaque patient. La Société Française de Médecine Générale propose une approche structurée :
- Répertorier les éléments de santé du patient.
- Les organiser en groupes fonctionnels cohérents (cardiovasculaire, endocrinien, etc.).
- Identifier les effets en chaîne pour définir un axe principal d’intervention.
Par exemple, agir sur des difficultés locomotrices peut avoir des effets positifs sur l’obésité, la tension artérielle et le diabète. Cette démarche inclut des mesures non pharmacologiques (alimentation, hygiène, activité physique) et nécessite une concertation avec le patient. Une réévaluation régulière de la progression est également essentielle.
Réorganiser la garde médicale
Un autre défi majeur est l’organisation de la garde. « Beaucoup de patients sont de grands consommateurs des services d’urgences », observe le Pr Frappé. Paradoxalement, des populations vulnérables, comme les personnes âgées ou à mobilité réduite, rencontrent encore des obstacles dans l’accès aux soins. Cela entraîne un afflux vers les services de garde et d’urgence.
Le Pr Frappé évoque également le phénomène de « iatrogénicité organisationnelle » dû à la spécialisation médicale. Les patients, perdus face à la multiplicité des spécialistes, préfèrent souvent se tourner vers les urgences, alors que le généraliste pourrait résoudre de nombreux problèmes et les orienter efficacement. « La garde et la continuité des soins constituent le fil rouge de la qualité des soins », insiste-t-il.
Il cite une étude anglaise démontrant que plus la relation entre un patient et son généraliste est ancienne, moins le recours aux services d’urgences est fréquent. En France, une réflexion est en cours sur la création de « communautés professionnelles territoriales de soins de santé », regroupant les professionnels d’un même territoire autour d’un projet de santé commun.
Promouvoir la recherche en médecine générale
Enfin, la recherche est essentielle en médecine générale. « Elle forme le creuset de la qualité », souligne le Pr Frappé. Avec l’émergence de nouveaux outils, il est crucial d’identifier les conditions dans lesquelles ils apportent une réelle valeur ajoutée, tant pour le diagnostic que pour l’aide administrative ou thérapeutique. « Plutôt que de se laisser dominer par l’intelligence artificielle, il faut se l’approprier », affirme-t-il.
La collecte et l’analyse à grande échelle des données permettent également de découvrir des notions insoupçonnées sur l’évolution des maladies. Cependant, cette démarche doit être encadrée par une réflexion éthique rigoureuse pour éviter tout mercantilisme.
Ces défis – la complexité médicale, l’organisation des gardes et la recherche – dessinent les grandes priorités pour renforcer et valoriser la médecine générale dans les années à venir.