Un projet pilote lancé par l’Union des Pharmaciens du Hainaut Occidental (UPHOC), en collaboration avec l’Université de Mons et soutenu par le Comité d’éthique de l’Hôpital Universitaire Erasme, suscite une vive controverse. Intitulé « Dépistage des angines à streptocoques bêta-hémolytiques du groupe A dans les pharmacies », ce programme entend notamment réduire la surconsommation d’antibiotiques tout en favorisant leur prise rapide en cas de nécessité. Ce projet est loin de faire l’unanimité parmi les professionnels de santé, à commencer par le Dr David Simon, médecin de famille à Colfontaine, qui dénonce son fondement scientifique et ses implications pratiques.
Dans une lettre adressée à Medi-Sphère, le Dr Simon questionne la pertinence de ce projet. « Je m’interroge sur le bien-fondé de mener un projet pilote au cours duquel des pharmaciens conseilleraient à des patients de consulter ‘rapidement’ leur médecin généraliste en raison de la positivité d’un test dont le manque de valeur ajoutée est démontré depuis plus de dix ans », écrit-il.
Cette critique s’appuie notamment sur une analyse publiée en 2014 dans Minerva, une revue belge d’Evidence-Based Medicine. L’article rappelait que ni la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), ni la Belgian Antibiotic Policy Coordination Commission (BAPCOC), ni leurs homologues néerlandais ne recommandent l’usage de scores cliniques ou de tests rapides pour la gestion des maux de gorge aigus. Une étude parue dans le British Medical Journal en 2013 confirmait même l’absence de valeur ajoutée de ces outils dans la décision de prescrire ou non des antibiotiques.
Des objectifs ambivalents
Selon les documents de l’UPHOC, l’objectif affiché est double : limiter la surprescription d’antibiotiques tout en évitant les complications graves des angines bactériennes. Or, les arguments avancés par l’organisation interpellent le Dr Simon. « Les angines bactériennes (…) évoluent favorablement la plupart du temps en 3-4 jours, même en l’absence d’antibiotiques », reconnaît l’UPHOC. Mais dans le même temps, la lettre insiste sur le fait que « la prise d’antibiotiques doit se faire rapidement » en cas de diagnostic positif.
Pour le médecin généraliste, celui-ci introduit une contradiction majeure. « Comment justifier un tel projet quand les données scientifiques démontrent que ces tests rapides n’améliorent pas la prise en charge, mais risquent au contraire d’accroître les consultations inutiles et de renforcer une méfiance croissante entre patients et médecins ? »
Des conséquences pour la médecine de première ligne
Le protocole prévoit que les pharmaciens réalisent un test rapide , facturé entre 5 et 10 euros, chez des patients âgés de 3 à 15 ans ou des adultes présentant des symptômes tels que fièvre, adénopathies cervicales sensibles ou suppuration des amygdales. Si le test est positif, les patients sont invités à consulter rapidement leur médecin généraliste pour évaluer la nécessité d’un traitement antibiotique.
Pour le Dr Simon, ce dispositif risque d’ajouter une charge de travail inutile aux médecins de première ligne, tout en semant le doute chez les patients. « Ce genre d’initiative, fondée sur des données biaisées ou obsolètes, ne peut qu’alimenter la confusion et détourner les patients de consultations vraiment nécessaires », avertit-il.
Un débat de fond sur les rôles respectifs des professionnels de santé
Au-delà des critiques méthodologiques, ce projet relance le débat sur la répartition des rôles entre pharmaciens et médecins généralistes. L’intervention des pharmaciens dans le dépistage de pathologies suscite régulièrement des tensions, certains y voyant une forme d’empiétement sur le champ médical.
Face à ces réactions, l’UPHOC se défend en mettant en avant l’urgence de lutter contre la résistance aux antibiotiques et la nécessité d’une collaboration renforcée entre professions de santé. « Ce projet pilote s’inscrit dans une logique de prévention et de rationalisation des soins », assure l’organisation .
Le débat reste ouvert, mais pour le Dr Simon, la priorité devrait rester l’application rigoureuse des recommandations basées sur des preuves scientifiques solides qui nous ont été récemment rappelées par le service d’évaluation et de contrôle de l'INAMI. « Nous ne pouvons nous permettre de sacrifier la rigueur scientifique sur l’autel de projets mal conçus », conclut-il.
Le projet pilote, qui doit être évalué à terme, risque de raviver les tensions entre professions médicales et pharmaceutiques. Un chantier supplémentaire pour un système de santé déjà sous pression.
Derniers commentaires
Jean-Louis MARY
05 décembre 2024L’étape suivante : « Docteur , je dois une ordonnance d’amoxicilline à la pharmacie car j’ai eu une angine le mois dernier et le pharmacien m’ a mis sous antibiotique »….
Tanguy CREPIN
05 décembre 2024Rien de tel... une vidange d'huile, un dépistage d'angine, un vaccin, un amour perdu retrouvé dans les 48h , du pain et une baguette et aussi 2 l de vodka... Ils sont fabuleux ces nouveaux pharmaciens mutlifonctions 2024.
Ils font aussi dans la procréation assistée??
Du grand n'importe quoi
Yvette BOTSON
05 décembre 2024Et puis quoi encore ? Cette façon de donner des responsabilités et du pouvoir décisionnel à des personnes non formées et avec un profil de commercial, est une aberration !
Pourquoi pas donner aux médecins la capacité de vendre des médicaments ?