Refus des règles sanitaires, refus des vaccins, …, le complotisme se situe dans un imaginaire qui possède plusieurs degrés d’intensité. Au-delà des faits, comment aborder un patient qui émet des propos complotistes ? Quelques pistes de réponse au quotidien avec le Pr Marie Peltier, historienne, chercheuse, essayiste, spécialiste du complotisme et enseignante en histoire à l'Institut supérieur de pédagogie Galilée de Bruxelles.
Le complotisme n’est pas récent puisqu’on en a décrit des mouvements dès la fin du XVIIIème siècle, et connaît effectivement une résurgence depuis une vingtaine d’années. Ce phénomène idéologique qui consiste à penser que ce qu’on nous dit (ou ce qui est perçu comme le discours officiel : politique, médias, et aujourd’hui les scientifiques) est le fruit d’une mise en scène au service d’intérêts cachés relevant d’un même groupe, l’industrie pharmaceutique par exemple dans le cadre de la pandémie COVID. La recrudescence de ce phénomène constatée depuis le début des années 2000, est liée à plusieurs facteurs, dont le web qui a banalisé ce complotisme et généré la la logique du buzz, de l’image et de la vidéo courte censée prouver et démontrer, et un contexte politique qui s’est cristallisé autour du 11 septembre 2001 qui a tout reconfiguré et charrié des haines anciennes. Tous les événements traumatisants sont dans ce cadre devenus prétexte à la théorie du complot.
Ce qui a été le cas de la pandémie…
La pandémie COVID a été extrêmement bouleversante pour l’ensemble de la population, d’autant qu’elle était ‘inattendue’ car la mémoire collective avait perdu la notion du risque pandémique. Le complotisme est alors devenu pour beaucoup un moyen de trouver du sens ou une explication à cet événement traumatisant. De plus, la population a eu à ‘subir’ une parole médicale qui s’est imposée dans le débat public, une ‘prise de pouvoir’ des médias dans la diffusion de l’information, et des politiques qui ont cadré la situation sanitaire, toutes situations contraignantes qui ont créé l’envie de contrecarrer l’autorité exercée ou ressentie comme telle. Comme le politique a pris beaucoup de place, il devenait logique que les contre-discours prennent également beaucoup de place. Dans ce sens, les complotistes ne sont pas ni des illuminés ni des farfelus mais des gens qui interpellent.
Reconnaît-on des caractères particuliers aux complotistes ?
Dès que l’on crée un symbole, des gens s’attachent mécaniquement à le démonter. Dans la mesure où une certaine ‘hiérarchie’ de la parole s’est mise en place, on ne sera pas étonné de retrouver les personnes qui se sentent exclues de cette hiérarchie. Loin de moi cependant l’idée de stigmatiser une partie de la population car le complotisme touche toutes les couches de la société, tous les milieux sociaux, tous les niveaux d’instruction et toutes les classes d’âge. Il correspond plutôt à un sentiment contemporain de ne plus avoir de prise sur le réel et atteint préférentiellement toutes les catégories sociales qui ont le sentiment de ne pas avoir de prise sur la parole officielle et basculent alors dans le discours ‘On nous ment, on nous manipule, …’
On se situe donc dans une crise de confiance ?
Absolument. Et la pandémie COVID a été un révélateur de ce qui existait déjà, à savoir une défiance envers les institutions démocratiques au sens large : politique, médias, justice, scientifiques, … Cela dit, le complotisme actuel est international -hors pays totalitaires où ce discours ‘n’existe pas’- comme en témoigne la généralisation des discours antivaccin. Il existe cependant des particularités locales, liées notamment à la gestion de la crise, souvent chaotique, notamment dans la gestion de la deuxième vague qui a engendré une grande incompréhension citoyenne. Concernant la Belgique, on a pu constater que la parole des experts a pris beaucoup de place, ce qui a généré de la part des complotistes un mouvement visant à discréditer ces experts en les accusant de travailler main dans la main avec le politique.
Que peut faire le médecin lorsqu’il est interpellé par un patient qui tient un discours complotiste ?
Je vois deux axes de réponse à cette question. Les médecins sont aussi des citoyens et ils ont donc un rôle citoyen à mener. Dans ce cadre, la vaccination est un enjeu important qu’on ne peut éluder. Ils doivent donc donner les informations nécessaires sur le rôle de la vaccination et du respect des règles sanitaires en argumentant leur discours. Mais ils ne doivent pas non plus tenter de convaincre à tout prix, car un patient convaincu de complotiste ne sera pas ‘récupérable’. Il faut donc plutôt travailler de manière préventive et proposer aux personnes qui sont encore capables de les entendre les arguments nécessaires pour adhérer aux données sanitaires. Pratiquement, on ne peut convaincre que les personnes qui hésitent encore ou qui doutent, et elles sont plus nombreuses qu’on ne le pense. De plus, ce n’est pas parce qu’une personne émet des propos antivaccin qu’elle est nécessairement obtuse. Cela dit, même s’il semble stérile de prendre quelqu’un de front lorsqu’il émet une opinion complotiste, je pense néanmoins que le médecin a le droit de faire part de ses valeurs propres, de sa vision du monde. Il a également le droit de poser la question de savoir pourquoi la personne complotiste pense de la sorte et de l’interroger sur ses sources d’information.
Et le deuxième axe de réponse ?
Infantiliser les complotistes est très en vogue. C’est aussi une manière de ne pas entendre l’interpellation qu’ils représentent. Il faut donc être conscient que le complotisme correspond aussi à une certaine forme de détresse, et qu’il faut pouvoir écouter cette détresse. Leur perte de confiance les a conduits à une certaine forme d’obsession, et il faut pouvoir les détourner de leur obsession et plutôt que de vouloir les persuader de respecter les ‘règles’, leur demander comment elles se sentent. Être attentif à la portée psychique des événements peut aider à ramener les patients vers la véritable cause de leur mal-être. Le complotiste est en effet très souvent un obsessionnel qui a cristallisé sa pensée sur certains thèmes qui tournent en boucle.
Derniers commentaires
Dominique NARCISSE
13 décembre 2021"1+1=3 si si ! tu vois, on te manipule depuis que tu es enfant ! Mais les autorités, elles le savent, et le cachent ..." que voulez-vous dire à cela ! C'est tellement absurde ! Leur source ? Mais ils l'ont lu quelque part, et plusieurs fois, ils en sont sûrs ! Dialogue impossible.
Pierre-Joseph Bruwier
10 décembre 2021Je pense qu'un proverbe bantou dit quelque chose comme : "On ne persuade jamais mieux quelqu'un qu'en l'écoutant". Dans le cas présent, la seule possibilité que nous ayons est que la personne ayant des idées complotistes prennent conscience de ses contradictions : par ex refus du vaccin covid, mais acceptation des vaccins pour pays exotiques, être sur un plan émotionnel de refus de vaccin est inadéquat face à un virus qui ne contient pas un atome de psychologie.
Pierre-Joseph Bruwier
Philippe GILLET
09 décembre 2021Profondément adhérent à une vaccination citoyenne je me sens très mal à l'aise de suivre la ligne de conduite de l'article telle que je l'ai interprétée, peut-être à tort, et d'etiqueter lesdits "complotistes " d'enfants à éduquer et à ramener sur le bon chemin et de les récupérer...
Francis COLLA
09 décembre 2021Pauvre femme ! j'aurais refusé cette photo à sa place
bon, heureusement ce qu'elle dit (ne nous fions pas aux apparences !) : "être conscient que le complotisme correspond aussi à une certaine forme de détresse, et qu’il faut pouvoir écouter cette détresse" est une vérité absolue !
Dire "De quoi avez-vous peur ?" et non "Je vais vous expliquer pourquoi j'ai raison"
Bravo ! un vrai dialogue peut s'instaurer. Sans projection sur la fin ...
Francis Colla
Marie-Louise ALLEN
09 décembre 2021Institut Galilée... interpelant! Galilée, un complotiste avant la lettre, connu et reconnu... "et pourtant elle tourne!"