RDC: le Dr Mukwege interdit de conférence à l'université de Kisangani

L'université de Kisangani (Unikis), la cinquième ville de la République démocratique du Congo (RDC), a renoncé à accueillir les conférences que le prix Nobel de la paix, le Dr Denis Mukwege, devait donner les jeudi 18 et vendredi 19 août, une "censure" décriée par les partisans du célèbre gynécologue et potentiel candidat à l'élection présidentielle de fin 2023.

"Je me sens dans l'obligation de vous demander d'envisager la possibilité d'organiser cette conférence en dehors de l'Université de Kisangani compte tenu du contexte actuel, caractérisé par des manifestations violentes d'étudiants", a écrit mardi le rec teur de l'Unikis, le professeur Jean-Faustin Bongilo Boendy, dans une lettre datée de mardi et dont l'agence Belga a obtenu une copie. 

"L'Université n'est pas en mesure d'assurer la sécurité et la protection des infrastructures et des personnes en cas de débordement. Tout comme elle n'est pas à même de garantir les conditions matérielles et techniques des activités", ajoute le recteur en invoquant aussi un "déficit criant en logistique et en énergie". 

Cette décision du comité de gestion de l'Unikis a été vivement dénoncée par des proches du Dr Mukwege, regroupés au sein d'une association baptisée "Dynamique des Universitaires congolais" (DUC), dont certains membres - comme les professeurs Alphonse Maindo et Bily Bolakonga - soutiennent la candidature du médecin à la présidentielle prévue l'an prochain en RDC.

"J'ai grandement honte d'appartenir à une institution sans vision, sans management pour son rayonnement international. Comment imaginer que le comité de gestion, qui comprend trois professeurs, refuse les conférences à une sommité scientifique mondiale, le professeur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, que toutes les universités s'arrachent? On prive les étudiants et les professeurs d'une opportunité en or de savourer la science. C'est un sabotage sans nom", a affirmé le professeur Maindo au média congolais Politico.cd.

Il a parlé d'une "ignominie" de la part du comité de gestion de l'université, regrettant que l'Unikis perde ainsi "une occasion en or d'accueillir une sommité scientifique tant sollicitée". 

Les deux conférences - la première portant jeudi sur "la prise en charge des fistules traumatiques" et la seconde vendredi sur "le viol comme arme de guerre" - auront finalement lieu à 14h00 à l'Alliance française (anciennement Afraco) de Kisangani. 

Le Dr Mukwege a déjà donné des conférences similaires en mars à Lubumbashi (sud-est, la deuxième ville de la RDC) et début mai à Kinshasa, la capitale. 

Une source informée a évoqué la responsabilité dans la décision de l'Unikis du commandant de la 31e région militaire, le général de brigade Benjamin William Balengela, un ancien officier des ex-Forces armées zaïroises (FAZ) passé à la rébellion du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD, soutenu par le Rwanda lors de la seconde guerre du Congo de 1998 à 2003) et soupçonné de graves violations des droits de l'homme perpétrées à Kisangani. 

Le Dr Mukwege est le co-lauréat du prix Nobel de Paix 2018 pour son action en faveur des femmes victimes de viols utilisés comme armes de guerre, tout comme la militante yazidie Nadia Murad, ex-esclave des djihadistes de l'État islamique (EI). Surnommé "l'homme qui répare les femmes" - le titre du film que le cinéaste belge Thierry Michel lui a consacré -, il est le fondateur de l'hôpital de Panzi à Bukavu, le chef-lieu de la province du Sud-Kivu, qui soigne les femmes victimes de ces violences en RDC. Il est titulaire de plus de trente titres de docteur Honoris Causa décernés dans le monde entier et fait figure de personnalité congolaise la plus respectée internationalement - tout en se montrant très critique envers les dirigeants de son pays.

Le régime de l'ancien président Joseph Kabila Kabange (2001-2019) et les médias officiels congolais avaient superbement ignoré l'octroi du prix Nobel au gynécologue. Il avait fallu attendre septembre 2019 pour qu'il rencontre le nouveau chef de l'État, Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. Les deux hommes avaient évoqué le Fonds mondial pour les survivants de violences sexuelles dans les conflits, que le Dr Mukwege promeut aux côtés de Nadia Murad.

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