Droits des patients: «On ne peut pas empêcher les médecins de penser» (Dr G. Deschietere)

L’évolution de la loi relative aux droits du patient continue à susciter de nombreuses réflexions. Cette nouvelle loi veut augmenter la transparence vis-à-vis du patient en lui donnant accès à l'intégralité de son dossier, y compris les annotations.  Le Dr Gérald Deschietere, psychiatre, ne comprend pas le but « Je dois pouvoir garder le droit d’écrire des notes personnelles à propos d’un patient sans nécessairement devoir lui communiquer.» 

Un aspect précis pose question à certains d’entre eux dans les dispositions de cette nouvelle loi  : les annotations personnelles d’un professionnel des soins de santé ne sont plus exclues de ce droit de consultation par le patient, seules les données concernant des tiers restent exclues. Le patient peut donc désormais avoir accès aux annotations personnelles du médecin figurant dans son dossier médical.

Un patient mieux informé

Pour le Dr Gérald Deschietere, psychiatre, chef de l’unité de crise et des urgences psychiatriques aux Cliniques universitaires Saint-Luc, et professeur à l’UCLouvain, il faut être attentif aux impacts de ce changement dans cette loi comme il l’a évoqué lors du Colloque qui marquait les 10 ans du MoDes : « Je soutiens évidemment l’idée que les patients ont des droits. Nous devions sortir d’un patriarcat médical qui était insupportable à bien des égards. Mais je ne pense pas qu’une symétrie parfaite des connaissances soit une bonne chose parce que le patient et le soignant n’éprouvent pas la même chose concernant les informations recueillies. L’un souffre, l’autre tente de soulager. Le risque est de déresponsabiliser complètement le médecin et de parfois mettre à mal les soins au patient. » 

Il se veut clair : « J’espère que les patients seront mieux informés que jamais grâce aux différents éléments qu’ils peuvent consulter sur internet et aussi à la démocratisation des savoirs scientifiques. Mais aussi grâce au temps passé lors du colloque singulier entre le médecin et l’usager. Ce dernier doit aussi être de plus en plus conscient des enjeux des politiques de la santé qui restent en effet souvent méconnus du patient. »

Protéger les notes personnelles

Toutefois, un aspect l’inquiète . Si les médecins ne peuvent plus garder la confidentialité des annotations , certains n'en prendront donc plus puisqu’il existe un risque qu’elles soient divulguées « La loi relative aux Droits des patients veut éliminer les notes personnelles. Là, personnellement, je n’arrive pas à comprendre à quel point on veut empêcher les soignants d’avoir la moindre considération personnelle. » 

Il précise son propos : « En quelque sorte, on nous dit « arrêtez de penser », « éliminez toute subjectivité ».  Cet aspect là de la loi m’inquiète beaucoup.  Je n’arrive pas à en comprendre le but. Ou alors celui de vouloir uniformiser tout soin, et donc de le déshumaniser, d’en perdre le caractère éminemment intime ». 

Quand il le dit, il pense aux patients : « Je dois pouvoir garder le droit d’écrire des notes personnelles à propos d’un patient sans nécessairement devoir lui communiquer. Cela peut enrichir mon travail, la personnalisation du suivi de ce patient. Cette partie de la loi amène une méfiance, une défiance par rapport au monde médical. » 

Et en ces temps troublés, de conclure avec cette phrase de Milan Kundera qui parle du risque du totalitarisme, « où tous les hommes vivent dans l’harmonie, unis par une seule et même volonté, une seule et même foi, sans secrets les uns pour les autres ». 

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Derniers commentaires

  • Erik FRANCOIS

    23 avril 2024

    Toutes les mesures prises récemment, y compris celle-ci, visent à micro-gérer l'ensemble de l'acte médical.
    Le rêve semble être de réduire le corps médical dans son ensemble à un ensemble de médecins conseils sans aucune possibilité d'innovation, de réflexion, ou d'autonomie. C'est déjà le cas pour certains médecins aux Etats-Unis, à la solde de groupes privés, ou de médecins anglais, à la solde du NHS. Mais dans ces 2 pays la fuite vers une pratique autonome (payante entièrement par le patient, qui lui aussi fuit le système) reste possible. Qu'à cela ne tienne: en Belgique nous instaurons une médecine hypercontrôlée ET l'interdiction progressive (d'abord pour les BIM, mais qui croit qu'on en restera là?) de pratiquer hors convention. Alors, chers politiques, soyez cohérents jusqu'au bout et faites-nous tous salariés ou fonctionnaires.

  • Jean-Claude LEEUWERCK

    20 avril 2024

    Il ne manquait plus que ça... En ce qui me concerne, je réponds toujours à toutes les questions qui me sont posées. Je prends également le temps d'expliquer au mieux ce qui a trait à la pathologie de la Personne qui me consulte... Et beaucoup de temps pour Ecouter... Votre Leçon de Modestie n'était pas indispensable, Monsieur Lustygier.

  • Marc BEAUDUIN

    19 avril 2024

    Marc Beauduin MD, PhD, ancien D.M.
    Cette”ouverture “ des notes aux patients et/ou leur famille serait dangereuse pour tous : pour le patient avec risque d’ incompréhension des notes médicales , de la famille: connaissance de faits concernant le patient et son environnement ,du médecin qui risquera “judicieusement “de “réduire” ses notes personnelles souvent utiles aux autres praticiens amenés un moment ou autre à prendre en charge ce patient …. Bref en croyant bien faire, le législateur ouvrira “la boîte de Pandore” du souffrant dans ses symptômes subjectifs et objectifs … avec des retombées pouvant être désastreuses lorsqu’on il en prendra connaissance ! Soigner un patient , c’est établir un DIALOGUE sur son état, ses plaintes subjectives et objectives qui peuvent évoluer au fil du temps ce dialogue est oral et “ouvrir” ce qui est consigné est à haut risque pour tous les intervenants dont le patient au premier chef

  • Christian BUCKINX

    19 avril 2024

    Ah bon,nos réflexions perso.sur le problème d'un patient doivent lui etre accessibles?Ok, mais alors meme obligation pour tt le monde:que ts les citoyens,malades ou pas,puissent avoir accès à ttes les notes personnelles des politiques quand ils décident de pondre un arrèté de loi,meme s'ils l'ont élaboré un lendemain de la veille,bien arrosé!

  • Thérèse RICHE

    19 avril 2024

    cela dépasse toutes les bornes!!!!!

  • Bernard Defer

    19 avril 2024

    Tout à fait d accord, de toutes façons ces lois vont à l encontre du bin être des patients et des médecins, pour s en convaincre, lire les notes sur internet, souvent de la bêtise pure.

  • Jean DOYEN

    19 avril 2024

    Entièrement d'accord avec cette réaction. Revenir sur des notes perso antérieures permet de se préparer à un comportement adapté dans le cas de patients à relation potentiellement délicate ( et ce, quelle qu'en soit le raison). A 68 ans, mon 1er réflexe serait hélas " dès qu'on commence à me demander mes notes perso, j'arrête de pratiquer". Ceci fera déjà un médecin de moins, parmi ceux qui voulaient se souvenir et se servir de leurs vécus relationnels dans la pratique de ce qui était leur art...

  • Selma ISRAEL

    18 avril 2024

    Réflexion tout à fait pertinente. Sans compter que la part de non-dit constitue également un outil thérapeutique. Le résultat serait donc une uniformisation totalitaire, aux dépens d'un renoncement thérapeutique. Un double échec pour le patient, une perte de sens pour le médecin.

  • Donald Vermer

    18 avril 2024

    Bonsoir,
    Avant cette loi, les notes personnelles restaient la propriété du docteur
    Pourquoi changer cette disposition ?
    Dr Vermer

  • Michel LUSTYGIER

    18 avril 2024

    Il faudrait déjà que le médecin réponde aux questions du patient , lui évitant de s’égarer sur des sites internet . On peut quand même admettre que la connaissance de sa “pathologie “ puisse aider à une compliance . Enlevons ce chapeau de magicien ! Avec Chatgpt en introduisant dix des symptômes, le patient peut recevoir des réponses! Un peu de modestie confrères

  • Alain HENSENNE

    18 avril 2024

    Les éléments objectifs du dossier appartiennent au médecin qui n’est que le dépositaire.
    Les réflexions du médecin lui appartienne : c’est sa liberté de penser.

  • Francisco Luque Berjillos

    18 avril 2024

    Cher confrère psychiatre, j'apprécie votre analyse. En plus de 40 ans de pratique médicale ( médecine, psychologie médicale et expertise médicale ), jamais un patient ne m'a demandé ce que j'écrivais à son sujet dans le dossier médical ( les annotations personnelles ). Pas une fois. En tant que patient moi-même ( j'ai aussi mon MG et mes spécialistes...) : jamais il ne m'est venu à l'idée leur demander le contenu de leurs annotations personnelles. Ni pour mon avocat, ni pour mon dentiste...ni pour mon curé...Vous avez raison : on veut empêcher le Médecin de penser. Et à force de tant censurer.... viendra le jour où il n'y aura plus de Médecin. Et je comprendrai cela. Alors le politique ( et assimilé ) devra dire au malade " ..il faudra que vous vous soigniez vous-même...ou, c'est celà, par vous-même...Et vous pouvez écrire ce qu'il vous semble bon à votre sujet..." Sans rire. Le Docteur Herry a raison : on tue la médecine....C'est à dire le médecin. Une ethnie en voie de disparition ??!! I l y a de cela . Mais certains le souhaitent.. Economie et robotisation.
    Mais au fait : de qui viennent ces demandes ?? Les patients...? J'en doute. Vaste problème d'interférence....
    Merci Confrère Deschietere.
    Dr Francisco LUQUE B.

  • Patricia Eeckeleers

    18 avril 2024

    Entièrement d'accord!les notes personnelles ne sont pas des jugements de valeur mais des orientations diagnostiques, des données recueillies auprès de l'entourage, et des réflexions personnelles.
    ex: patiente fibromyalgique: je note souvent mes hypothèses: viol? inceste? violences ds enfance? le patient n'a pas besoin de savoir mes hypothèses de travail d'autant plus que parfois il ne s'en souvient pas.