Le Covid long pourrait-il être responsable de l’augmentation des invalidités? (Dr M. Jamoulle)

Le Dr Marc Jamoulle est un des généralistes qui se préoccupe du COVID long, et il multiplie les publications. Cette affection est une catastrophe pour les patients concernés. Mais le serait-elle aussi pour les budgets de l’INAMI, qui indemnise les invalidités ? Il nous fait part de ses réflexions à ce sujet.

Depuis 2021, je rencontre dans ma patientèle d’étranges patients. Des personnes qui vivent un drame innommable. Des professionnels de haut niveau qui ne parviennent plus à pratiquer leur métier. Ce sont l’architecte en plein exercice qui ne sait plus lire un plan, des médecins incapables de se concentrer, l’informaticien qui ne parvient plus à gérer ses programmes, la professeure de grec qui ne sait plus organiser sa mémoire, le statisticien qui n’est plus capable de faire une multiplication mais aussi la technicienne de surface qui oublie ce qu’elle vient de nettoyer … On pourrait dresser une longue liste de cas semblables. Toutes ces personnes ont une caractéristique commune : elles ont été victimes du Covid et ont ensuite développé un Covid long.

Des symptômes multiples et difficiles à diagnostiquer

Cette maladie est un vrai problème de santé publique. D’abord parce qu’elle est malaisée à reconnaître. Sur le plan chronologique, il s’agit de symptômes qui persistent ou réapparaissent au-delà de six semaines après l’infection initiale, sans autre explication possible modifiant considérablement la vie des patients.

"Je ne suis plus ce que j’étais" est la phrase la plus souvent entendue. Mais de quels symptômes s’agit-il ?

Leur grande variabilité et leur inadéquation à des tableaux connus sont extrêmement déroutantes si le clinicien n’est pas en alerte. Il s’agit de fatigue extrême, de troubles cognitifs (souvent appelés "brouillard mental"), d’essoufflement, de douleurs musculaires ou articulaires, de graves troubles de la mémoire immédiate, de palpitations, de troubles du sommeil, d’anxiété et de dépression. Dans deux cas sur trois, il s’agit d’une femme et l’âge moyen est de 42 ans, avec des extrêmes allant de l’enfant au senior de 90 ans.

Les examens paracliniques sont le plus souvent normaux, hormis la présence d’ARN viral dans le sang, un test exclusivement disponible en recherche. La scintigraphie cérébrale au technétium peut montrer une hypoperfusion dans les cas les plus graves. Mais seuls les IRM fonctionnels et la spectroscopie par résonance magnétique, qui sont pratiqués exclusivement en recherche, montrent l'encéphalite. Et pourtant l’identification du mal est primordiale pour nommer la maladie, aider le patient sur le plan psychologique et le défendre sur le plan médico-légal. Nouvelle maladie virale qui passionne tous les chercheurs qui ont fait leurs armes sur le VIH, le  Covid long n’a pas encore de traitement, si ce n’est symptomatique.

Un impact croissant sur les invalidités ?

On peut se demander également si la question « problème de santé publique » ne revêt pas un autre aspect, celui de l’augmentation du nombre des invalidités. Pour l’INAMI, « lorsqu’une personne est reconnue en incapacité de travail après un an, elle entre en période d’invalidité. » Plus d’un tiers des patients reconnus Covid long ne sont plus capables de travailler depuis un, deux ou trois ans.

Si on regarde les statistiques de l’assurance maladie, on observe chaque année une augmentation du nombre d’indemnisations de l’ordre de 3,5% à 5,14% selon les années, par rapport à l’exercice précédent, pour les salariés et chômeurs. Elle est de du même ordre pour les indépendants et conjoints aidants, hormis une très forte hausse en 2023 (7,82%). Différents facteurs sont évoqués par l’INAMI pour expliquer cette hausse : vieillissement, relèvement de l’âge de la pension des femmes, nouvelles pathologies, souffrance mentale croissante …

Dans les statistiques de l’INAMI selon les causes d’indemnisation, figure une rubrique « autres pathologies », à côté de celles qui traitent de pathologies cardiovasculaires, respiratoires, etc. Le  Covid long s’y inscrirait-t-il ? Possible mais on pourrait aussi le retrouver dans les rubriques des affections cardiaques, des affections respiratoires et des troubles neurologique, puisque le Sars Cov 2 attaque tous les systèmes de notre organisme.

Le manque de registre, un obstacle majeur

Selon Sciensano, le nombre de cas confirmés de Covid (plus de 4.800.000) en Belgique depuis le début de l’épidémie en 2020 et la proportion de  Covid long estimée par le KCE (1 sur 7, bien que cette estimation soit très variable selon les études), on peut se faire une idée du nombre potentiel de personnes concernées. On serait au-delà de 685.000. C’est peut-être une surestimation et toutes les personnes ayant gardé des symptômes après six mois (critères du KCE) ne sont pas également atteintes. Et elles n’ont pas toutes des défaillance cognitive et mnésiques comme notre architecte ou notre statisticien. Mais qui oserait dire qu’il ne s’agit pas d’un problème de santé publique ? Et qui pourrait croire que cela n’impacte pas les indemnités pour invalidité ? Et pourquoi n’y a-t-il pas de registre du Covid long en Belgique comme dans la plupart des pays d’Europe ? Pas de données, pas de problème.

  • Marc Jamoulle pratique la médecine familiale depuis 50 ans. Il est également docteur en sciences médicales et membre du Comité de classification internationale de la WONCA. Depuis juillet 2021, il suit une cohorte de patients ayant reçu un diagnostic clinique de COVID long. Pour réduire l'incertitude diagnostique, il a bénéficié de l'aide des membres du réseau COVID Human Genetic Effort (https://www.covidhge.com/). Il coordonne un réseau de recherche sur le COVID long en Belgique. marc.jamoulle@uliege.be 

    Jamoulle, M., & Van Weyenbergh, J. (2024). The Covid Resistance Study project - Start 2021- Update June 2024. ORBi-University of Liège. https://orbi.uliege.be/handle/2268/319832 (aussi en français)

     

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