Dr Caroline Depuydt: «Investir pour éviter une médecine de la santé mentale à deux vitesses»

Psychiatre, le Dr Caroline Depuydt vient d’être nommée directrice médicale générale de l’ASBL Epsylon. À ce changement de fonction dans l’institution s’ajoute l’arrivée, depuis le 1er janvier, d’un nouveau directeur général : le Pr Vincent Dubois, également psychiatre. « C’est une des spécificités d’Epsylon : une ASBL gérée par et avec des médecins pour rester au plus près des enjeux cliniques », explique le Dr Depuydt.

Dans le secteur, les défis sont nombreux : « Le métier évolue fortement avec la visibilité post-Covid. Si la santé mentale en général est mieux prise en compte, en parallèle, la prise en charge particulière des pathologies, souvent chroniques, demande du temps et de l'investissement. Le risque serait d’avoir une santé mentale à deux vitesses. »

L’autre grand défi en 2024, mais surtout en 2025, est l’évolution vers l'ambulatoire. « L'hôpital doit devenir un lieu parmi d'autres. Cette approche est complexe pour les personnes qui souffrent de maladies psychiques. Cela demande une organisation dans le temps et dans l'espace pour pouvoir se déplacer à un rendez-vous, ne pas se tromper de jour, prendre les transports en commun... Pour quelqu'un qui éprouve des difficultés d'angoisse, de phobie, de psychose ou de consommation, cette approche est difficile. A long terme, il est essentiel de permettre à la personne de se traiter aussi dans son environnement. »

Les équipes mobiles et le financement

Le développement des équipes mobiles est central : « Équipes mobiles, visioconférences, téléconsultations… Dans ma fonction à la direction médicale, je tiens à être attentive à développer tous ces outils et à les intégrer sans travailler en circuit fermé, pour offrir à la personne, à chaque moment, une tentative de solution qui pourrait lui convenir et qui peut être évaluée. »

La question du financement reste un enjeu : « Le niveau fédéral réalise beaucoup d'efforts, mais cela reste insuffisant par rapport à la forte demande pour les jeunes adultes, les dépendances, les mises en observation, les hospitalisations sous contrainte... Mais les choses bougent : par exemple, nous allons soumettre une candidature pour un projet visant à créer des centres de référence pour les troubles des comportements alimentaires. Ce projet sera conjoint avec le service de pédopsychiatrie de l’UCL Saint-Luc et le service "adolescents et jeunes adultes" de La Ramée, qui s'occupe des troubles alimentaires. »

Le temps des généralistes

Cette explosion de la demande impacte aussi les généralistes. Doivent-ils davantage se former ? « Tant la psychiatrie que la médecine générale sont des métiers en pénurie. Ils n’ont ni le temps ni l’envie de toutes et tous se former. Par contre, comme pour les dermatologues, nous pourrions envisager une réflexion sur la télé-expertise pour donner un avis ou un conseil à un généraliste. »

Un autre frein persiste toutefois : « Les consultations de longue durée, pas toujours possibles pour les généralistes, sont nécessaires pour une prise en charge optimale. Pour les psychiatres, il s’agit d’un élément irréductible pour mettre en pratique des outils. Les patients ont besoin de temps pour s’exprimer, pour se poser. »

Une solution pour les hospitalisations sous contrainte

La question des hospitalisations sous contrainte n’est toujours pas résolue : « Il y a eu le développement des services qu'on appelle HIC, High Intensive Care. Toutefois, pour les personnes non volontaires, il n'y a toujours aucune prise en charge ni revalorisation particulière. Les autorités continuent à ne pas entendre cette spécificité. »

L’IA comme soutien ?

Comme ailleurs, la psychiatrie garde un œil sur l’évolution de l’Intelligence Artificielle : « Elle peut déjà intervenir dans une aide administrative pour nous faire gagner du temps (fiche personnelle, pré-triage...), mais pas dans le processus du diagnostic, ni dans l'accompagnement psychothérapeutique d'humain à humain, ni dans la communication non verbale qui s’installe. Par contre, on peut imaginer qu'entre les sessions, l’IA pourrait fournir des exercices pour préparer les consultations suivantes. »

Une vulgarisation utile

Caroline Depuydt revient aussi sur ses interactions sur sa chaîne TikTok (89 900 followers) et ses livres. « J’ai des questions d’infirmiers, de psychologues en formation, de pompiers, d’ambulanciers… Ils me parlent des traitements et me remercient d’expliquer ce qu’est une crise d’anxiété, par exemple. Je constate beaucoup d'intérêt pour la psychopharmacologie. » Les livres sont un complément aux consultations. « Les lecteurs me disent que mes livres les accompagnent dans leur quotidien. Cela permet aussi de rendre les concepts de santé mentale moins rébarbatifs. »

Devenez psychiatre

Que dire aux jeunes médecins pour les motiver à devenir psychiatre ? « C'est un métier hyper complet où l'on apprend toujours. On y aborde aussi les questions somatiques. On peut choisir de se préserver, d'équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle. »

  • Epsylon, c’est avant tout un groupe psychiatrique bruxellois avec ses 427 lits et places. Le groupe comprend 3 cliniques psychiatriques situées à Uccle (La Ramée, Fond’Roy, Area+), une Maison de Soins Psychiatriques (MSP), 48 places en initiatives d’habitations protégées- IHP- (dont 5 dédiées aux mères avec bébés et plusieurs pour les étudiants), 2 hôpitaux de jour (l’un pour adultes, l’autre pour adolescents), un internat thérapeutique pour adolescents et un pôle de consultation regroupant 3 entités (adultes, adolescents, petite enfance).

    La Dr Caroline Depuydt Psychiatre est aussi autrice de trois livres « Bien dans ma tête », « J’arrête d’en faire trop! » aux éditions Kennes,  « Je me libère des écrans ! - Le guide d'une psychiatre pour maîtriser sa consommation digitale. » aux éditions Racine.



Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.