Financiarisation de la santé en France : les sénateurs tirent le signal d'alarme

La financiarisation croissante de la santé inquiète les sénateurs français, qui alertent sur l’emprise des investisseurs dans des secteurs clés comme les cliniques , la biologie médicale mais aussi sur les soins de première ligne.  Dans un rapport récent, ils proposent 18 mesures pour préserver l’indépendance des professionnels et garantir une offre de soins équitable. Un rapport publié par la Commission des affaires sociales du Sénat français, intitulé « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? », met en garde contre la montée en puissance des investisseurs dans le secteur des soins. Cette tendance, initiée dans les années 1990 et accentuée dans les années 2000, bouleverse le secteur en concentrant les soins dans les mains de groupes privés influencés par des capitaux extérieurs. Ce phénomène, dénoncé comme un « processus par lequel des acteurs privés capables d’investir de manière significative, qui ne sont pas directement professionnels de santé, entrent dans le secteur des soins », suscite des inquiétudes quant à l’indépendance des soins et à la qualité de l’offre sur le territoire français.

Les cliniques privées sous l'emprise des fonds d'investissement

Le secteur de l’hospitalisation privée à but lucratif a été l’un des premiers à subir cette financiarisation, avec des groupes comme Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva, qui détiennent aujourd’hui 40 % du marché. En s’appuyant sur des stratégies de fusions-acquisitions et de croissance externe, ces groupes sont parvenus à centraliser une part considérable de l’offre de soins. « La réussite de ces groupes repose à la fois sur leur capacité à réaliser des investissements massifs qui autorisent une croissance externe très dynamique, et sur un processus d’intégration à des entités plus larges », souligne le rapport. Cette dynamique permet à ces groupes de mutualiser les coûts, d’optimiser les services support et d'obtenir des prix plus avantageux grâce à des achats groupés.

L’exemple de la biologie médicale 

Le rapport met également en lumière la financiarisation accélérée de la biologie médicale, un secteur où, en 2021, six grands groupes contrôlaient déjà 62 % des sites de biologie médicale en France. Cette concentration a été facilitée par une législation autorisant des biologistes non praticiens à détenir une majorité des parts de ces sociétés. La situation inquiète les sénateurs, car « la constitution de monopoles dans des domaines aussi sensibles que la biologie médicale restreint la diversité de l’offre de soins, créant des situations de dépendance qui peuvent influencer la qualité des soins et limiter l’accès aux services ».

Le secteur de l’imagerie enregistre également une dynamique très active de financiarisation, porté par un mouvement de concentration dans un secteur historiquement fragmenté. 

Les centres de soins primaires, nouvelle cible des capitaux privés

Les sénateurs alertent également sur le développement des centres de soins primaires détenus par des investisseurs privés, tels que Ipso Santé, ou encore par les grands groupes d’hospitalisation, qui voient dans ces structures un moyen de « recruter de nouvelles files actives de patients ». Cette expansion du secteur privé dans des domaines autrefois réservés aux praticiens libéraux « pourrait à terme menacer l’indépendance de ces derniers et transformer les soins primaires en un marché centré sur la rentabilité, au détriment d’une offre diversifiée et adaptée aux besoins de la population », mettent en garde les auteurs du rapport.

Les 18 recommandations du Sénat pour encadrer la financiarisation

Pour contenir ces dérives, les sénateurs formulent dix-huit recommandations destinées à préserver l’équité du système de santé et l’indépendance des professionnels. Ils plaident notamment pour une régulation plus stricte de l’offre de soins, en renforçant le rôle des agences régionales de santé (ARS) et des élus locaux dans la planification des établissements de santé. Selon eux, il est essentiel de « lutter contre l’implantation d’une offre non pertinente au regard des besoins de santé » en conditionnant l’ouverture de nouveaux centres de soins à un agrément préalable.

Par ailleurs, les sénateurs proposent de « favoriser des modes de financement respectueux de l’indépendance professionnelle » en soutenant l’accès des praticiens libéraux à des crédits bancaires qui ne dépendent pas des intérêts d’investisseurs privés. Ils recommandent aussi d’intégrer des critères de qualité et de pertinence dans les conventions avec les libéraux et dans la tarification hospitalière, afin que les financements publics soutiennent avant tout des prestations de soins de qualité.

Enfin, le rapport suggère de renforcer l’encadrement des droits de vote et des droits sociaux des investisseurs dans les sociétés d’exercice libéral, pour éviter que des intérêts financiers ne priment sur les valeurs déontologiques. « Il est crucial que les professionnels de santé conservent la maîtrise des décisions liées aux soins », souligne le rapport, qui insiste également sur l’importance de former les jeunes professionnels de santé à la gestion de structures médicales, afin de leur offrir une alternative viable à l’investissement privé.

Un modèle à surveiller, des pratiques à encadrer

Les sénateurs concluent que sans un encadrement renforcé, la financiarisation pourrait continuer à s’étendre, au risque d’affaiblir la qualité des soins et d'accentuer les disparités territoriales. La question de la financiarisation de la santé, encore en débat en France, pourrait bien s’étendre au-delà des frontières, touchant d’autres pays européens où l’accès aux soins reste un enjeu fondamental de santé publique.

> Découvrir le rapport « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? »

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