En Belgique comme ailleurs dans le monde, les personnes en situation de handicap intellectuel meurent plus tôt que la population générale, notamment à cause d’un manque de détection de leurs problèmes de santé. Le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a enquêté sur le terrain pour identifier les obstacles qui freinent l’accès de ces personnes aux soins de santé courants. L’étude débouche sur 8 objectifs concrets déclinés en 25 pistes d’action. Parmi ces pistes , veiller à ce qu’elles aient systématiquement un médecin généraliste attitré et un dossier médical global, pendant les consultations et visites en prévoir des possibilités de prestations de plus longue durée, renforcer les compétences des professionnels de la santé qui ne sont pas familiarisés avec le secteur du handicap en leur proposant des formations pour mieux communiquer avec les personnes en situation de handicap intellectuel.
Partout dans le monde, les personnes en situation de handicap intellectuel présentent davantage de problèmes de santé que la population générale. Un état de fait qui n’est pas seulement attribuable à une maladie ou un handicap sous-jacent, mais également à une inégalité d'accès aux soins. Un rapport des Nations Unies précise que les personnes handicapées (tous handicaps confondus) sont trois fois plus susceptibles que la population générale de se voir refuser des soins de santé et qu’elles courent quatre fois plus de risques d'être traitées de façon inadéquate.Une étude anglaise (2019) montre que la durée de vie de 85 % des Britanniques dépasse l’âge de 65 ans, mais que ce pourcentage n’est plus que de 38 % pour les personnes en situation de handicap intellectuel. De plus, ces personnes sont souvent confrontées à la stigmatisation et à la discrimination lorsqu'elles accèdent à des services de santé. Par conséquent, elles peuvent en arriver à vouloir éviter les soins médicaux, voire à refuser de sortir de leur domicile.
Une vaste enquête de terrain
Sur une suggestion de l’association Special Olympics Belgique, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a examiné les raisons de cette discrimination afin de proposer des pistes de solutions pour y remédier.Les chercheurs du KCE ont largement consulté le terrain en invitant de nombreux stakeholders à participer à une enquête en ligne et à des groupes de discussion. Des personnes en situation de handicap intellectuel ont également été interviewées.
Au terme de cette étude, 25 pistes d’action ont été formulées, pour atteindre 8 objectifs concrets :
- Soutenir les personnes en situation de handicap intellectuel dans leur capacité à prendre en charge leur propre santé (en les informant mieux, en leur fournissant des outils et ressources adaptés à leur niveau de compréhension, etc., et en soutenant leurs proches) ;
- Mettre en place les conditions pour améliorer leur suivi en 1re ligne de soins (en veillant à ce qu’elles aient systématiquement un médecin généraliste attitré et un dossier médical global, en améliorant l’accès aux dépistages, etc.) ;
- Résoudre les problèmes d’accessibilité géographique aux soins (en prodiguant certains soins dans leurs lieux de vie, en facilitant leurs transports, en autorisant la présence d’un proche lors de trajets en ambulance, etc.)
- Faciliter la disponibilité des professionnels de santé pendant les consultations et visites en prévoyant des possibilités de prestations de plus longue durée ;
- Rendre le milieu hospitalier plus accueillant et plus efficace pour ces personnes (en leur permettant d'être accompagnées à tout moment par un membre de leur entourage, en prévoyant notamment la possibilité de bénéficier d’une chambre seule sans coûts supplémentaires pour pouvoir accueillir plus facilement ce membre de l’entourage, en formant le personnel d’accueil, etc.) ;
- Renforcer les compétences des équipes socio-éducatives dans le secteur du handicap (en leur proposant des outils pour décoder les plaintes et reconnaître certains symptômes, en clarifiant le cadre juridique de la prestation de soins par du personnel non infirmier, etc.) ;
- Renforcer les compétences des professionnels de la santé qui ne sont pas familiarisés avec le secteur du handicap (en leur proposant des formations pour mieux communiquer avec les personnes en situation de handicap intellectuel, en développant des guidelines, en les informant sur les associations de soutien existantes, etc.) ;
- Développer la collecte de données et de statistiques sur la santé des personnes en situation de handicap intellectuel afin de mieux identifier leurs besoins et de mieux surveiller leur état de santé. La première étape consisterait à développer un système d'identification de ces personnes dans les bases de données.
Aménagements raisonnables
Un constat essentiel posé par les chercheurs est que la plupart des obstacles recensés lors de l’étude se dressent également devant de nombreuses autres personnes dont les capacités personnelles (intellectuelles mais aussi physiques, culturelles, cognitives…) ne permettent pas d’accéder pleinement aux services existants. Une grande partie des solutions proposées dans le rapport pourraient donc être bénéfiques pour une part bien plus large de la population que les seules personnes en situation de handicap intellectuel.C’est pourquoi les chercheurs du KCE mettent notamment en avant les concepts « d’aménagements raisonnables » (modifier un environnement ou des règles afin de permettre la pleine participation de la personne en situation de handicap) et de « conception universelle » (conception de l’espace public, d’un équipement particulier, etc., pour le rendre utilisable par tout le monde sans adaptations et donc de facto adaptée aux besoins des personnes en situation de handicap intellectuel).
Besoin de temps
Un autre constat qui ressort de cette recherche est que le dénominateur commun à bien des obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap intellectuel est le manque de temps de leurs interlocuteurs. Or ces personnes ont besoin de temps pour comprendre, apprendre, ou s’adapter. Si les soignants sont trop pressés pour prendre connaissance du dossier de la personne, pour l’écouter ou – surtout – pour lui expliquer les choses en termes simples et s’assurer qu’elle a compris, la relation thérapeutique est d’emblée mise en difficulté. De même, si l'entourage ne peut pas libérer du temps pour préparer la personne àune visite médicale, la rassurer, lui expliquer à l'avance ce qu’il va se passer ou l’accompagner, cela renforce la difficulté d’accès aux soins.
Les proches, acteurs essentiels
Enfin, les chercheurs soulignent qu’il est indispensable d’accorder plus d'attention au rôle central de l'entourage (informel ou professionnel) des personnes en situation de handicap intellectuel. Car dans de nombreux cas, l'accès aux soins de santé pourrait être ‘tout simplement’ amélioré en autorisant les personnes en situation de handicap intellectuel à être accompagnées quand elles le souhaitent par une personne en qui elles ont confiance et qui les rassure.Le rapport conclut qu’offrir aux personnes en situation de handicap intellectuel des soins de santé accessibles et de qualité est une question de justice et d'égalité. Et surtout, que cela devrait leur permettre de recevoir ce à quoi elles ont droit : le meilleur état de santé possible, sans discrimination fondée sur leur handicap.