Cinq ans déjà que Maggie De Block, médecin généraliste de formation, est devenue ministre de la Santé publique. En cet anniversaire, et quelques jours avant les élections fédérales, régionales et européennes, Medi-Sphère l'a rencontrée et lui a posé quelques questions... vos questions!
Maggie De Block est fière de ses réalisations: «Nous avons travaillé sur trois axes: l’accessibilité aux soins, leur qualité et l’innovation. Nous avons atteint ces objectifs grâce - entre autres - à un prix raisonnable des médicaments, à 25 médicaments orphelins que nous avons apportés aux patients, à la loi qualité et à de nouvelles thérapies révolutionnaires contre le cancer.» Fort bien. Il n’en reste pas moins quelques questions pressantes que vous aviez formulées.
L’une d’elles revenait, récurrente. Pourquoi la ministre et son cabinet consultent-ils si peu les médecins, accordent-ils si peu de place à l’avis du terrain? (avec, comme corollaire, le sentiment de décisions autoritaires...)
La ministre rétorque. Il y a énormément d’acteurs dans la Santé. Les réunions et rencontres n’ont pas manqué. Mais elle dénonce la cacophonie entre intervenants, «qui restent incroyablement corporatistes». Des frictions permanentes, voire des clashs, bloquent tout ou, à tout le moins, compliquent l’instauration de ce modèle multidisciplinaire auquel elle aspire, dit-elle. Elle illustre avec les récentes discussions entre ophtalmologues, optométristes et orthoptistes. Elle regrette aussi les lettres ouvertes émanant d’unions professionnelles et «qui arrivent au cabinet trois semaines après» - après une médiatisation qui aura transformé la réalité. «A un moment, il faut avancer. Les gens doivent apprendre à travailler ensemble, au lieu de tirer chacun la couverture à soi. Moi je dois avoir une vue hélicoptère, me pencher sur les préoccupations de tous les acteurs, mais avant tout, prendre soin du patient.»
Quand vous êtes entrée en fonction, les médecins ont dit: «Aaaah, un médecin à la Santé, elle saura de quoi elle parle…» Certains sont déçus.
«Ce n’est pas parce que j’étais généraliste que je suis la lobbyiste des médecins. Je suis la lobbyiste des patients. D’où, par exemple, la garde obligatoire que j’ai introduite, même si ça déplaît.»
Pour beaucoup MG, vous avez privilégié les hôpitaux au détriment de la 1ère ligne. L’expression «disparition programmée de la médecine générale» revient plus d’une fois…
«J’ai surtout travaillé sur les hôpitaux parce que je ne suis pas compétente pour la 1ère ligne! Depuis 5 ans, la réorganisation de cette ligne est une matière régionale. Je me demande si tout le monde a bien compris cela… Autrement, ça aurait été plus facile pour moi! Maintenant, j’ai pris des mesures pour qu’il y ait plus de soins transmuraux, en concertation avec la 1ère ligne et les autres ministres compétents. On a les projets de soins intégrés aux malades chroniques, par exemple. On a également travaillé sur les postes de garde, pour améliorer l’attractivité du métier, et les conditions de travail se sont clairement améliorées à ce niveau. On a aussi financé des généralistes qui, le soir, vont dans les glems parler de recommandations de bonne pratique, notamment sur l’usage des psychotropes, ou de prévention des chutes chez les sujets âgés. On examine aussi la perspective d’une consultation longue de planification des soins de fin de vie.»
Les MG se plaignent de la chape administrative quotidienne. Savez-vous que l’informatique et les outils d’e-santé sont considérés comme rendant la pratique plus difficile?
On en entend quelques-uns, toujours les mêmes, se plaindre sur Twitter. Mais moi je constate que beaucoup de généralistes utilisent déjà largement la prescription électronique ou le chapitre IV électronique. Et c’est dans l’intérêt des gens. Avec le chapitre IV, par exemple, les choses vont beaucoup plus vite: le patient sort de chez son médecin, il se présente à la pharmacie et l’autorisation de remboursement est déjà là…»
Mais il y a des bugs, des instabilités, dans les e-services…
«On s’est beaucoup investi dans cette problématique. Il s’est avéré que les fondations de la plateforme eHealth n’étaient peut-être pas assez solides, qu’il existait des problèmes d’outsourcing, de hardware, qui ont pu occasionner des pannes. On réclame chaque fois de nombreuses simulations avant de lancer quelque chose, mais il y a des problèmes qu’il n’est possible d’identifier qu’en cours de route.»
A côté de ça, chaque jour, les MG passent du temps à compléter des tas de formulaires pas toujours pertinents…
«C’est vrai, on leur demande d’attester tout et n’importe quoi, des choses parfois ridicules (elle évoque la discutable attestation médicale pour faire du banc solaire). Chacun devrait refuser quand ça n’a pas de sens, dire au patient ‘moi je ne certifie pas ça’. Maintenant, nous l’avons vu nous-mêmes avec les attentats: les documents venant des assurances privées, ce sont de vrais bouquins à compléter. Mais pour cette partie administrative, l’informatique sera une aide: ce que vous remplissez une fois se mettra dans le dossier, immédiatement. Et les formulaires électroniques évitent aussi les
falsifications de certificats papier.
Du côté francophone, les PMG protestent, ils demandent à ce que la garde soit financée correctement.
«En début de législature, on a découvert de très grandes disparités dans le fonctionnement des postes, à commencer par leurs heures d’ouverture - ce qui crée des confusions chez les patients - et dans leurs dépenses. Notre volonté a été d’uniformiser. Un poste de dépenses important, par exemple, c’est le transport. Par endroits, il y avait des voitures plus luxueuses que nécessaire pour véhiculer le médecin et garantir la continuité et la qualité des soins. On peut aimer les BMW décapotables, mais on ne les finance pas avec de l’argent public. Une cellule inter-administrative Inami-SPF a travaillé pendant plus d’un an à harmoniser tout ça. Le résultat sera un cadre bien défini, avec un financement transparent, qui sera introduit en 2020. Tout ce travail, au final, c’est pour augmenter le nombre de postes de garde et avoir la possibilité, dans le futur, d’élargir leur nombre de jours d’activité, au-delà des week-ends.
Contingentement: «Je ne pouvais pas agir radicalement».
Pourquoi priver de jeunes Belges d’étudier et pratiquer la médecine, pendant que les hôpitaux importent des médecins étrangers? D’autant que des pénuries se font jour… [les participants flamands à l’enquête semblaient plus pressés de savoir où en était le contingentement de leurs pairs francophones, ndlr].
«Les francophones ont trop attendu pour résoudre la question des sous-quotas, qui est une matière régionalisée. Mr Marcourt se mettait toujours en travers. La pénurie de MG, c’est partout, mais surtout en Wallonie. Ce n’est que récemment que les sous-quotas y ont été relevés à 40% de MG - comme c’est pratiqué depuis longtemps en Flandre. Ce relèvement, plus les 3 années de double cohorte, vont nous aider. Il y a aussi le problème du déficit de généralistes en zones rurales. Les aides Impulseo ont été également régionalisées, il faut en faire usage. Par ailleurs, la Wallonie a une pléthore de spécialistes dans certaines branches. On en voit jusqu’en Flandre occidentale et à Anvers, parce qu’ils ne trouvent pas de travail. De jeunes spécialistes diplômés demandent, après 12 ans d’études, à avoir droit au chômage!»
«L’examen d’entrée a fini par être introduit en Wallonie, après bien des tâtonnements. Nous sommes sortis de l’impasse 60/40 grâce à la Cour des comptes et une clé de répartition basée sur la population. L’excédent est écarté en fonction des besoins. La Commission de planification a calculé qu’il y aurait un excédent de 3.000 côté francophone et il a été réduit à 1.500. La Flandre a également enregistré un excédent cette année, à la suite de plaintes d’étudiants contre certaines questions d’examen. Au final, la barre est fixée à 505 en Wallonie, pour résorber l’écart. Je n’ai pas une approche de principe dure. Un certain pragmatisme est nécessaire, aussi dans l’intérêt des étudiants.» (1)
Etudiants qui auront quand même été pris en otage…
«En effet. Mais je ne pouvais pas intervenir de manière trop radicale non plus. J’ai opté pour une période de 15 ans, au lieu de 5, pour tout harmoniser, et aussi éviter la liquidation de facultés de médecine francophones. Une fois qu’une faculté disparaît, elle ne revient pas. Ce qui est dommageable pour l’accès à l’éducation. La qualité de la formation est essentielle à mes yeux. Je ne cache pas que ce problème de contingentement aurait été plus digeste si un ministre francophone avait pu le résoudre.»
Comment brider les mutualités?
«J’ai relevé l’échelle minimale à 75.000 membres, afin que les mutuelles puissent bien offrir tous les services. Je voulais qu’elles adoptent un fonctionnement plus moderne. Nous avons conclu un pacte avec elles. Leur rôle a changé, il est plus actif: elles agissent moins comme un guichet, elles sont davantage dans le coaching, la prévention et l’information du patient. L’accord de gouvernement ne prévoyait pas de faire disparaitre les OA. Personnellement, je suis ouverte à l’idée mais il faut me dire comment on fonctionnerait alors (rires). Notre administration ne peut pas gérer tout ça.»
1. L’équipe de la ministre précise : 1.138 étudiants ont été autorisés à entamer les études de médecine, côté francophone, en 2018-19. Seuls 505 pourront entamer leur stage en 2024, en raison du mécanisme de lissage. La différence est donc élevée. Depuis 2016, nous avons débloqué 2.442 attestations supplémentaires pour les étudiants francophones et flamands.
> Interview publiée dans le journal Medi-Sphère n°626 du 23 mai 2019